Fibrillation Atriale : l’électroporation va-t-elle être le nouveau gold standard ?

 

Bordeaux, France – Parmi les traitements de la fibrillation auriculaire, l’ablation par l’électroporation est une technique récente, basée sur une nouvelle énergie, qui pourrait révolutionner la prise en charge de ce trouble du rythme cardiaque.

Elle a été développée par le Pr Pierre Jaïs, cardiologue et directeur général de l’institut des maladies du rythme cardiaque LIRYC. Depuis l’obtention du marquage CE en 2021, 25 000 interventions d’ablation de la fibrillation atriale (FA) par isolement des veines pulmonaires avec la nouvelle technique d’électroporation ont été réalisées.

Son taux d’efficacité, proche de 80 % dans les formes paroxystiques, sa courbe d’apprentissage réduite, une durée d’intervention d’1 heure et la préservation des tissus et organes environnants sont des avantages certains.

A l’occasion d’une visite de l’IHU de Bordeaux, le Pr Jaïs a décrit cette technique qui se présente comme l’avenir du traitement de la FA, détrônant à plus ou moins court terme l’ablation thermique standard, par cryothérapie ou radiofréquence.

Jusqu’à présent, des méthodes thermiques

Les équipes de LIRYC, l’IHU de Bordeaux dédié aux troubles du rythme cardiaque ont identifié dans les années 1990 les sources de la fibrillation atriale : du tissu cardiaque au niveau des veines pulmonaires de l’oreillette gauche (voir encadré ci-dessous). Puis ils ont développé le traitement aujourd’hui universellement pratiqué d’ablation par cathéter, visant à créer une barrière électrique complète et durable autour des 4 veines pulmonaires afin d’exclure les sources d’arythmie et ainsi de rétablir le rythme sinusal. 700 000 patients à travers le monde sont aujourd’hui traités par ablation thermique chaque année.

A ce jour, l’isolation des veines pulmonaires est principalement réalisée par ces méthodes thermiques, où la nécrose des tissus est obtenue soit par radiofréquence (> 50°C) soit par cryoablation (cryoballon, -60°C), deux options thérapeutiques indiquées chez les patients avec FA résistante aux médicaments, avec un taux de succès d’environ 64 % et 65 % à 1 an pour la FA paroxystique, respectivement.

Bien que peu invasives, ces techniques exposent à des complications : hématome inguinal (2-4,5 %), tamponnade péricardique (0,5-1,5 %), paralysie du nerf phrénique (0,5-3 %), AVC (0,5 %) et fistules atrio-œsophagiennes .

Des micro-chocs électriques de haut voltage tissu-spécifiques

Il faudra désormais compter avec l’ablation sélective des tissus à l’origine de l’arythmie par électroporation ou champs pulsés (Pulsed Field ablation). Cette technique utilise des micro-chocs électriques de haut voltage (> 2000 V) pour ouvrir en quelques millisecondes des pores à l’échelle nanométrique dans les membranes des cellules cardiaques pathologiques.

Son effet lésionnel provient donc de l’augmentation de la perméabilité de la membrane cellulaire par la formation de pores membranaires. La méthode peut ainsi être spécifique à un tissu donné et les données précliniques suggèrent que l’on peut cibler sélectivement les cardiomyocytes tout en épargnant l’œsophage, les nerfs et les vaisseaux sanguins environnants dont les seuils lésionnels sont plus élevés.

Pr Pierre Jaïs

Le Pr Pierre Jaïs, directeur général de LIRYC, raconte : « La start-up ayant développé la technologie FARAPULSE TM, appartenant désormais à Boston Scientific, nous avait sollicités pour notre expertise, notre reconnaissance au niveau mondial et notre invention de l’ablation thermique. Avec le Pr Vivek Reddy, de l’Icahn School of Medicine at Mount Sinai (New York, NY, USA), nous sommes ainsi les deux équipes dans le monde à avoir contribué à développer l’électroporation dans la fibrillation atriale, chez l’animal puis chez l’homme. Elle a depuis obtenu le marquage CE en 2021. Elle est indiquée dans la FA paroxystique.

Vingt centres en France en sont équipés, et plus de la moitié l’utiliseront probablement d’ici à deux ans. Actuellement, seuls 2 à 4 % des patients ayant une FA sont traités par ablation thermique, alors que bien plus sont éligibles. L’attente est longue : par exemple, il faut patienter 6 à 9 mois pour en bénéficier au CHU de Bordeaux. Or, intervenir plus tôt permet de limiter la survenue des complications et réduit le risque de passage à une forme persistante. Cette nouvelle technique par électroporation permet des procédures plus simples, plus rapides et surtout plus sûres. Je pense personnellement qu’il sera difficile de poursuivre avec les énergies thermiques lorsque l’électroporation sera diffusée : elle deviendra la technique par défaut dans la FA paroxystique et probablement de la FA persistante. »

« Lorsque l’électroporation sera diffusée : elle deviendra la technique par défaut dans la FA paroxystique et probablement de la FA persistante. »           Pr Pierre Jaïs

Des taux d’efficacité proches de 80%

D’après un important registre multicentrique, l’électroporation (technologie FARAPULSE TM) s’est révélée efficace pour traiter les signaux cardiaques anormaux, tout en limitant le risque d’endommager les tissus environnants. Les premiers résultats d’efficacité sont de 78 % à un an.

« L’intervention dure environ 1h en moyenne (contre 1,5 à 2 heures pour la radiofréquence et la cryothérapie) et la courbe d’apprentissage avec cette nouvelle technique par électroporation est très rapide », précise le Dr Mélèze Hocini, directrice adjointe de LIRYC et cardiologue au CHU de Bordeaux.

Un autre système d’électroporation (PulseSelect, Medtronic) vient d’obtenir le marquage CE (15 mars 2023). Les résultats de l’essai PULSED-AF avec ce dispositif médical ont été présentés au congrès de l’American College of Cardiology (ACC 2023), conduit chez 300 patients avec une FA paroxystique ou persistante symptomatique en échec thérapeutique sous au moins 1 antiarythmique de classe I ou III, dans 41 centres de neuf pays. 69,5 % des patients du groupe FA paroxystique n’ont présenté aucune arythmie atriale (TA, FA, flutter commun) à la fin du suivi, et 62,3 % dans le groupe FA persistante. 80 % des patients dans chacun des groupes n’ont présenté aucune récidive symptomatique. Concernant le profil de sécurité, un AVC a été rapporté dans chacun des groupes, soit un taux d’évènements indésirables de 0,7 %. Aucune lésion sur l’œsophage ou le nerf phrénique ou même de sténoses des veines pulmonaires n’ont été rapportées.

A Bordeaux, un IHU dédié à la rythmologie et à la modélisation cardiaque
LIRYC, l’institut des maladies du rythme cardiaque (Bordeaux, Pessac) est l’IHU dédié à la rythmologie et modélisation cardiaque. Pour le Pr Michel Haïssaguerre, cardiologue et président d’honneur de l’IHU (Institut hospitalo-universitaire), « l’approche électrique du cœur ne peut être uniquement le fait des médecins seuls » et « il faut multiplier les champs du possible de la recherche scientifique, en regroupant autour des cliniciens des équipes pluridisciplinaires ». L’IHU a été créé en 2010 grâce au Programme d’investissement d’Avenir. Il est dédié à la rythmologie et à la modélisation cardiaque, et se focalise sur 3 cardiopathies : fibrillations auriculaire, ventriculaire et l’insuffisance cardiaque. Il est rattaché au pôle cardio-thoracique de l’hôpital cardiologique de Haut-Lévêque du CHU de Bordeaux. Dans une optique de valorisation, LIRYC s’entoure de partenaires industriels : grands industriels du dispositif médical, du médicament ou de l’imagerie, grands groupes, entreprises locales et start-ups. Quatre d’entre elles ont d’ailleurs été créées et sont hébergées à l’institut (InHEART, Certis Therapeutics et CareLine Solutions, PulseHeart).

Une méthode d’avenir

Sur la base des études publiées, nombreux sont ceux qui voient en l’ablation par électroporation l’avenir du traitement de la FA réfractaire. Des études supplémentaires à grande échelle et notamment randomisées sont attendues.

Va-t-on vers un changement des pratiques ? « En dépit de l’inertie au changement, je suis convaincu que l’électroporation remplacera les énergies thermiques dans l’ablation de la FA paroxystique et persistante, considère le Pr Jaïs : Elle deviendra l’énergie de référence dans les recommandations internationales. Nous conduisons l’étude BEAT AF (ground-BrEAking electroporation-based inTervention for Atrial Fibrillation treatment)  dont les inclusions prendront fin en 2023. Elle comprend deux essais cliniques randomisés distincts afin de tester la supériorité de l’électroporation dans la FA paroxystique, et son efficacité potentielle dans la FA persistante. Il est cependant dramatique de constater que c’est peut-être la dernière fois en Europe que nous pouvons jouer ce rôle de pionnier dans la mise au point de techniques biomédicales. Le MDR (« Medical Device Regulation ») ou UE 2017/745, le nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux, complexifie tellement l’accès de l’innovation au marché et au marquage CE que les startups américaines restent désormais aux USA pour la facilité d’obtention de l’autorisation de commercialisation de la part de la FDA, au détriment de l’Europe. C’est une catastrophe, d’autant que si le but de ce nouveau règlement était la recherche des complications rares, il aurait été plus pertinent d’imposer des registres obligatoires une fois l’accès au marché accordé. »

 

La Fibrillation Atriale en chiffres
La fibrillation atriale (auriculaire) touche 1 à 2 % de la population mondiale, soit 33 millions d’individus dont 11 millions d’Européens. 750 000 Français en souffrent (>1 % de la population). C’est l’arythmie la plus fréquente chez l’adulte. Il est bien établi que la FA augmente le risque de mortalité (+ 46 % pour la mortalité toutes causes) et elle est associée à une morbidité importante : la FA multiplie par 5 le risque d’insuffisance cardiaque, par 2,4 celui d’accident vasculaire cérébral  et détériore la qualité de vie des patients. Elle peut provoquer une réduction de 20 à 30 % du débit cardiaque.

La FA est très liée à l’âge[6]. Près de 8 adultes sur 10 atteints de FA ont 65 ans et plus, plus fréquemment des hommes que des femmes. En raison du vieillissement de la population, la prévalence de la FA devrait augmenter avec une estimation de 18 millions d’individus en Europe en 2050. Avec davantage de patients susceptibles d’être touchés par la FA, les taux d’AVC liés à la FA, d’hospitalisations et de consultations devraient augmenter. Aujourd’hui, jusqu’à 2,6 % des dépenses de santé annuelles totales sont associées à la FA dans les pays européens (2,5 milliards en France dont la moitié due aux frais d’hospitalisation) .