Pacemakers biodégradables. Premiers résultats…Impressionnant !

Patrice Wendling

26 juillet 2021

Chicago, Etats-Unis – Des chercheurs américains ont mis au point un pacemaker transitoire ultra fin, entièrement biodégradable. Dans des expériences menées sur l’animal et sur des tissus cardiaques humains, ils ont pu montrer sa capacité à maintenir un rythme cardiaque, avant de disparaitre complètement cinq à sept semaines après implantation. D’autres évaluations devront être conduites avant d’envisager des essais chez l’homme.

Les stimulateurs cardiaques temporaires sont fréquemment utilisés après une chirurgie cardiaque, mais ils se composent d’un générateur externe encombrant et d’électrodes transcutanées qui peuvent s’infecter ou se déplacer. Leur extraction peut également endommager le cœur lorsqu’elles se retrouvent enveloppées dans du tissu fibreux.

Développé par John A. Rodgers et son équipe (Simpson Querrey Institute for Bioelectronics, Université Northwestern, Chicago, Etats-Unis), le stimulateur cardiaque expérimental est ultra fin et ne comporte ni fil, ni batterie. Il est constitué de matériaux biocompatibles, solubles dans l’eau, ce qui permet d’éviter les nombreux inconvénients liés à l’utilisation d’un stimulateur temporaire conventionnel.

Figure 1 Illustration du pacemaker transitoire sans électrode et sans batterie placé sur le cœur.

A base de silicium et de magnésium

« La charge totale du matériel placé dans le corps est minime », a commenté John A. Rodgers auprès de theheart.org/Medscape Cardiology. « La quantité de silicium et de magnésium que contiennent les comprimés multivitaminés est environ 3 000 fois supérieure à celle présente dans nos dispositifs électroniques. Ainsi, vous pouvez les considérer, en quelque sorte, comme une toute petite pilule de vitamines disposant en plus d’une fonctionnalité électronique. »

John A. Rodgers et son équipe jouissent d’une belle réputation pour leurs innovations dans le domaine de la médecine bioélectronique. Récemment, ils ont mis au point un dispositif temporaire sans fil visant à accélérer la neuro-régénération de nerfs périphériques lésés. Ils ont aussi développé des capteurs cutanés permettant de surveiller les signes vitaux des nouveaux-nés placés en soins intensifs.

Peu après l’arrivée du chercheur à l’université Northwestern, le Pr Rishi Arora, un électrophysiologiste cardiaque, s’est invité dans les échanges pour réfléchir sur les moyens de tirer profit de l’électronique sans fil dans l’objectif d’équiper les patients nécessitant une stimulation cardiaque transitoire. « Le mariage s’est fait de manière naturelle », a indiqué le Pr Arora auprès de nos confrères.

« L’une des raisons expliquant cette orientation est que l’équipe de cardiologie de Northwestern, en particulier celle spécialisée en électrophysiologie, est très impliquée dans la recherche translationnelle et, avant de venir ici, John collaborait avec Igor Efimov, une pointure dans la recherche sur l’électrophysiologie du rythme cardiaque. »

Après une chirurgie cardiaque, entre 10 et 20% des patients ont besoin d’une stimulation temporaire, note le Pr Arora. Les stimulateurs actuellement à disposition sont efficaces chez la plupart des patients. Néanmoins, les électrodes épicardiques peuvent induire des complications et leur fonctionnement se limite généralement à quelques jours, alors que certains patients ont besoin d’une stimulation post-opératoire pendant une à deux semaines.

Si le pacemaker biodégradable était disponible, « on rendrait un immense service à ces patients », commente le Pr Arora. « Il suffirait de l’appliquer à la surface [du coeur] et de l’oublier pendant une à deux semaines. »

L’expérience des stents biorésorbables

L’utilisation de dispositifs médicaux biodégradables n’est pas nouvelle. Il y a quelques années, les stents vasculaires biorésorbables (BVS) ont été bien accueillis en tant que solution potentielle dans le traitement de la néo-athérosclérose et de la thrombose tardive de stent nu. Mais, l’absence de bénéfice notable et les problèmes de sécurité, notamment l’apparition de thrombose intrastent, ont conduit le laboratoire Abbott à cesser la commercialisation des premiers modèles approuvés, tandis que Boston Scientific a interrompu en 2017 son programme de recherche consacré à ces dispositifs.

Le pacemaker sans fil présente toutefois une différence majeure: ce n’est pas un appareil mécanique, mais électronique, observe John A. Rodgers. « Le fait qu’il ne soit pas placé dans la circulation sanguine réduit les risques de manière significative. Et, comme je l’ai mentionné précédemment, il est très fin et contient très peu de matériaux. Je veux bien considérer qu’il y a des similitudes [avec les stents biorésorbables], mais les deux dispositifs sont très différents sur de nombreux points ».

Dans une étude publiée récemment dans Nature Biotechnology, John A. Rodgers, Rishi Arora, Igor Efimov et leurs collègues apportent une description détaillée de leur pacemaker biorésorbable. La partie électronique rassemble sur trois couches distinctes une antenne cadre associée à une bobine d’induction en magnésium recouverte de tungstène, une diode de radiofréquence à semi-conducteur (PIN) avec nanomembrane en silicium et un matériau diélectrique en polymère biocompatible (PLGA).

Ces composants électroniques sont encapsulés dans plusieurs couches de PLGA pour les isoler des liquides biologiques et sont reliés à une paire d’électrodes extensibles souples. Celles-ci assurent la stimulation cardiaque ,via un patch suturé sur le coeur. L’ensemble du dispositif a une épaisseur de 250 microns, mesure 16 mm de longueur et 15 mm de largeur et pèse environ 0,3 g.

Il est contrôlé et chargé à distance par induction – la même technologie utilisée pour les dispositifs médicaux implantés, les smartphones de dernière génération ou les puces RFID – par l’intermédiaire d’une bobine émettrice externe en forme de baguette placée près du coeur. « Pour le moment, nous pouvons avoir une distance allant jusqu’à 38 cm, ce qui est tout à fait raisonnable pour ce type de dispositif », précise le Pr Arora.

Des ajustements encore nécessaires

Les essais menés sur la souris, le lapin et également sur des tissus cardiaques humains ont montré une stimulation ventriculaire sur une large bande de fréquences. Des tests sur le chien suggèrent que ce système est capable « de fournir l’énergie nécessaire à l’utilisation des pacemakers biorésorbables chez des patients humains adultes », affirment les auteurs.

Chez le chien, une stimulation par les électrodes a en effet montré une modification des signaux à l’ECG avec des QRS fins (correspondant au rythme sinusal normal de 120 battements/min) passant à des QRS larges et une période R-R raccourcie (rythme stimulé à 200 battements/min), ce qui révèle une bonne capture ventriculaire.

Le dispositif a été capable d’apporter une stimulation cardiaque efficace pendant quatre jours après l’implantation, mais à J5, il n’avait plus l’énergie suffisante pour une capture ventriculaire. A J6, il n’a pas pu stimuler le coeur, même lorsque les voltages ont été augmentés en passant l’amplitude de tension alternative de 1 VPP à plus de 10 VPP.

Selon John A. Rodgers, le fonctionnement du dispositif serait limité par la pellicule de polymère enveloppant le pacemaker. Un autre modèle de stimulateur transitoire conçu avec des membranes très fines de silicium s’est montré efficace pendant trois semaines dans la surveillance de la pression intracrânienne après un traumatisme crânien, jusqu’à récupération du patient, avant de disparaître.

Dégradation par hydrolyse

« La biorésorption est devenue un facteur limitant », a souligné le chercheur. « Nous constatons que la perte de performance observée avec ces appareils après cinq à six jours est liée à ce changement de perméabilité. » Pour les rendre moins perméables à l’eau, de fines couches de silice pourraient être ajoutées dans les futurs modèles, estime-t-il, à condition que leur durée de vie ne soit pas altérée.

Les matériaux biorésorbables ont été précisément choisis pour se dégrader naturellement par hydrolyse et par l’action métabolique de l’organisme. Le PLGA se décompose pour donner des acides glycolique et lactique, tandis que la bobine en magnésium et en tungstène se transforme en hydroxyde de magnésium et en oxyde de tungstène (WOx). La membrane en silicium de la diode PIN se dégrade en acide orthosilicique. Des éléments ensuite évacués par voie naturelle.

Dans les études menées sur le rat, l’imagerie par scanner montre que les dispositifs se retrouvent enrobés de tissu fibreux et totalement isolés du cœur au bout de quatre semaines. La description du matériel extrait à différentes périodes suggère une dissolution quasi complète du pacemaker dans un délai de trois semaines. Les résidus restants disparaissent après 12 semaines.

Figure 2: Images des différents stades de la résorption du dispositif qui permettent d’éviter son extraction.

Evaluer le risque lié aux fragments

Les chercheurs ont effectué les démarches pour pouvoir utiliser l’appareil dans le cadre d’essais cliniques. Ils prévoient également de mieux étudier les différents stades de la biorésorption des fragments révélés par l’imagerie.

« Ces dispositifs étant constitués de matériaux placés dans un environnement hétérogène d’un point de vie mécanique et biomécanique, la résorption ne se fait pas de manière uniforme. En fin de processus, il reste des petits fragments en cours de dégradation pouvant potentiellement migrer dans l’organisme avant de disparaitre complètement », souligne John A. Rodgers.

« Etant donné que ces matériaux ne sont pas placés dans le flux sanguin, le risque lié à ces fragments apparait minime, mais il est suffisamment important pour nécessiter une évaluation avant des essais chez l’homme », affirme le chercheur. L’une des solutions envisagées pour réduire les risques serait d’encapsuler l’ensemble du dispositif dans un hydrogel bioabsorbable.

De son côté, le Pr Arora espère que ce pacemaker « permettra d’améliorer la prise en charge des patients en post-opératoire, tout en considérant, rappelons-le, que la technique actuelle de stimulation transitoire est déjà satisfaisante. Il faudra donc prendre certaines précautions avant d’aller plus loin ».

D’autres perspectives pourraient également s’ouvrir en cardiologie interventionnelle. En raison d’un risque élevé d’infection et d’une potentielle instabilité, la mise en place d’une stimulation par voie transcutanée apparait toutefois encore peu fiable. « Un important travail doit encore être réalisé, mais cette approche pourrait avoir un grand potentiel  », a conclu le Pr Arora.