Ablation de la FA : objectifs et techniques actuelles

Dr Walid Amara, Pr Philippe Chevalier
22 janvier 2019
Les Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC) 2019 ont été l’occasion de faire le point sur l’actualité de la prise en charge de la fibrillation atriale : rappel des objectifs de l’ablation avec les études récentes CABANA et CASTLE-AF, choix des techniques ablatives actuelles disponibles (FIRE and ICE), sélection des patients, et dépistage systématique avec les outils connectés.
TRANSCRIPTION
Walid Amara — Bonjour et bienvenue sur Medscape en direct des JESFC 2019. Dans ce congrès vaste où différentes aires de la cardiologie ont été traitées, on a bien sûr beaucoup parlé de rythmologie, et j’ai le plaisir d’accueillir avec moi le professeur Philippe Chevalier, de Lyon, pour parler d’actualité de rythmologie et notamment de prise en charge de la fibrillation atriale (FA). On ne parle d’ailleurs que de l’ablation de la FA, parce que l’actualité est très riche : en 2018, on a eu la présentation de l’étude CABANA et la publication de l’étude CASTLE AF. Est-ce que, déjà, on peut dire qu’on a quand même des objectifs quand on fait une ablation de la FA? Et quels sont ces objectifs?
Objectifs de l’ablation : retour sur CABANA et CASTLE-AF
Philippe Chevalier — Oui, tu as raison. Il faut bien rappeler, finalement, les objectifs d’une prise en charge de FA, qui sont au nombre de trois :
1) la qualité de vie, l’amélioration de la symptomatologie fonctionnelle
2) le maintien, l’obtention du rythme sinusal
3) la prévention de l’accident embolique cérébral, la protection du cerveau
Ce sont les trois objectifs de la prise en charge d’un patient avec fibrillation atriale.
Walid Amara — Quand on va reparler des deux études de morbi-mortalité, les symptômes, la qualité de vie, le rythme sinusal, on a des données solides qui commencent à dater… Concernant le reste, c’est ce dont on va discuter. On va prendre les choses dans l’ordre : il y a eu d’abord la présentation, puis la publication de CASTLE-AF. Est-ce que tu peux faire un résumé pour nos cardiologues, de CASTLE-AF et de ses messages ?
Philippe Chevalier — Il faut déjà rappeler l’origine de CASTLE-AF : c’est l’avantage d’un rythme sinusal qui était un peu démontré avec l’étude AFFIRM il y a quelques années sur 4000 patients, avec 2000 patients dans chaque groupe. C’est simplement la méthode qui était discutée, puisque le traitement antiarythmique est grevé d’effets secondaires, il fallait donc se diriger vers l’ablation et démontrer qu’elle était vraiment efficace – notamment dans une
population à haut risque qui sont les patients avec insuffisance cardiaque, dysfonction systolique sévère. Et là, surprise : le grand résultat est une diminution de la morbidité et de la mortalité globale de plus de 50 % chez les patients avec dysfonction ventriculaire gauche. Donc c’est vraiment un grand pas en faveur de l’ablation chez des patients fragiles avec altération de la fonction ventriculaire gauche.
Walid Amara — Ce n’était pas évident, parce que si je prends les patients les plus graves, où j’ai plus de risque, finalement c’est là que j’ai le plus de bénéfice.
Philippe Chevalier — Et le rapport risque-bénéfice est le meilleur dans cette situation.
Walid Amara — La deuxième étude, CABANA, on en entend parler depuis des années. C’est une étude de morbi-mortalité. Qu’est-ce qu’on doit retenir ?
Philippe Chevalier — Le contexte était quand même 2200 patients, 1100 patients dans chaque groupe avec en intention de traiter la neutralité, mais comme d’habitude une neutralité qui doit être interprétée à la lueur de la méthodologie, à savoir que finalement, l’essai n’était peut-être pas assez proportionné en puissance, suffisamment pour démontrer une efficacité. Mais par contre, cela a confirmé une efficacité réelle et une sécurité de l’ablation, notamment en termes d’amélioration de la sémiologie, c’est-à-dire l’aptitude, la fonctionnalité, comment les patients sont mieux, la qualité de vie est augmentée. Par contre, pour les AVC pas de démonstration, puisque le taux d’AVC était très faible dans cette population et encore une fois, l’essai n’était pas construit pour montrer une diminution de l’AVC chez les patients…
Walid Amara — Là aussi quand on regarde sur Internet, sur les réseaux sociaux, dans les discussions entre rythmologues, l’étude en intention de traiter est négative, c’est-à-dire que le bras ablation n’a pas fait mieux, n’a pas fait pire que le bras classique, par contre, en per protocol, c’est-à-dire ceux qui ont réellement eu l’ablation, c’était mieux en termes de morbi-mortalité. Est-ce qu’en gros les « pro-ablation » vont dire « certes, il y a peut-être des patients qui n’ont pas eu l’ablation, finalement quand ils en ont bénéficié ? »
Philippe Chevalier — C’est vrai qu’on attend d’autres analyses, d’autres publications pour essayer d’aller dans les hypothèses et cela conforte en globalité l’impression que l’ablation est quand même supérieure au traitement médicamenteux en termes de rythme sinusal et de qualité de vie.
Les techniques d’ablation : FIRE & ICE
Walid Amara — Maintenant on va s’adresser aux cardiologues qui nous regardent, qui ne sont pas rythmologues et qui ne connaissent pas nos techniques : finalement les choses ont beaucoup évolué, on peut peut-être redire un mot sur les techniques qu’on utilise, parce que finalement j’ai l’impression qu’on a gagné en safety, on est plus tranquille lorsqu’on réalise ces ablations. Qu’est-ce qu’on peut en dire ? On a deux techniques…
Philippe Chevalier — Oui. La première, il faut rappeler qu’elle était initialement chirurgicale, ensuite est venue la radiofréquence (on augmentait la température, donc de 50 °C), et maintenant c’est la cryoablation, et peut-être dans l’avenir, le laser, encore beaucoup plus précis avec des techniques beaucoup plus puissantes. Donc il faudra aussi faire attention et bien doser la quantité d’énergie à délivrer pour, là encore, ne pas aller trop loin. Trouver la juste mesure, quantifier précisément la lésion avec des nouveaux outils comme la
cryoablation. Pour l’instant, dans l’étude randomisée, pas de différences entre les deux techniques en termes de sécurité et de résultats.
Walid Amara — L’étude randomisée, c’est FIRE and ICE, qui a comparé la radiofréquence et la cryoablation, publiée dans le New England Journal of Medicine et qui a montré match nul entre les deux techniques. L’autre élément, c’est : finalement, en pratique, à qui tu proposes ces ablations ?
Philippe Chevalier — Oui. C’est une excellente question aussi parce que c’est surtout la réduction de la sémiologie fonctionnelle, donc du handicap fonctionnel qu’il faut viser, donc aux gens vraiment symptomatiques. C’est vraiment clé dans la prise en charge de ces patients. C’est uniquement les patients avec des symptômes fréquents, invalidants et rebelles aux traitements médicamenteux. Là, on est sûr d’avoir un rapport risque-bénéfice favorable.
Walid Amara — Alors, après CASTLE-AF, qui est positif, est-ce que finalement cela a impacté ta pratique dans ton centre ? Est-ce que tes rythmologues, tes spécialistes d’insuffisance cardiaque vont plus facilement proposer à des patients insuffisants cardiaques avec dysfonction ventriculaire gauche une ablation de la FA, puisque le bénéfice semble important dans l’étude ?
Philippe Chevalier — Oui. Surtout pour convaincre les insuffisants cardiologues, surtout avec CASTLE-AF, donc vraiment sur la sécurité et encore plus, finalement, c’est, évidemment, les rythmologues qui font le plus d’ablations et qui connaissent le mieux la technique qui seront en mesure d’apporter le bénéfice maximal à nos patients insuffisants cardiaques. Donc cela a conforté une impression et a consolidé les liens entre insuffisants cardiologues et rythmologues.
Walid Amara — Oui. Et bien entendu comme toujours, il y a un rapport bénéfice-risque. Ce sont des procédures qui sont interventionnelles à titre essentiellement fonctionnel pour le moment, en attendant des études plus approfondies. L’ablation de la FA chez un patient insuffisant cardiaque, c’est une ablation dans une équipe entraînée pour avoir le meilleur résultat et la meilleure tolérance de ce geste. Et quand je prends les recommandations européennes, c’est en cas de récidive après sous antiarythmiques, c’est la classe 1 et puis, il y a la classe 2a, première intention, c’est-à-dire premier épisode, alors je pense qu’il faut pondérer ce premier épisode — on est d’accord. Mais premier épisode, cela veut dire quoi ? Quand est-ce que tu proposes une ablation de FA en première intention ?
Philippe Chevalier — Déjà, je pense qu’il y a un élément dont on n’a pas parlé et qui est fondamental dans la prise en charge : c’est la préférence du patient. Parce que certains patients ne veulent absolument pas de médicaments et d’autres ont très peur de la chirurgie. Il faut donc vraiment s’adapter et le premier devoir du médecin rythmologue est d’informer, de donner des informations objectives pour que le patient puisse décider, pour qu’ils puissent décider ensemble pour faire le meilleur choix. C’est vraiment important. Alors, en pratique c’est sûr que c’est surtout des patients très gênés et, pour la première fois, c’est uniquement avec dysfonction ventriculaire gauche par exemple, c’est-à-dire une forme sévère ou des patients qui sont en soins intensifs et qui ont une altération marquée de la fraction d’éjection ventriculaire gauche — ceux-là, justement, peuvent peut-être bénéficier en première option d’une thérapeutique ablative.
Walid Amara — La fameuse cardiopathie rythmique.
Philippe Chevalier — Exactement.
Walid Amara — L’autre élément dont on ne discute pas assez et qu’on commence à voir, même dans les congrès, notamment au congrès européen, c’est la prise en charge les comorbidités. On a parlé de l’apnée du sommeil au congrès JESFC…
Philippe Chevalier — Exactement. Là aussi c’est fondamental, c’est-à-dire qu’on ne traite pas la FA uniquement d’un point de vue rythmologique, mais qu’on a peut-être une vision large et qu’on prend le patient dans sa globalité, s’il est hypertendu, dyslipidémique, s’il a une apnée du sommeil, une surcharge pondérale… et tous ces éléments sont à prendre en compte pour diminuer le risque de récidive.
Walid Amara — Oui. Un des rares patients sur qui j’ai fait une ablation de FA est guéri : il était en fait obèse, il a maigri parce qu’il a été opéré de l’obésité en plus, il a changé de vie, est devenu super sportif… et il est guéri, c’est-à-dire qu’il n’a plus d’hypertension, plus de diabète et plus de FA, mais après vraiment une modification du mode de vie.
Outils connectés et dépistage systématique
Walid Amara — Un dernier élément : au congrès, on a beaucoup parlé de dépistage de la FA, des nouvelles méthodes diagnostiques. Il y a plein d’outils connectés qui existent. Est-ce que maintenant vous en utilisez ? Il y a la Apple Watch… êtes-vous questionnés par les patients? Comment voyez-vous les choses?
Philippe Chevalier — il y a beaucoup de gadgets et j’ai peur d’une surdétection. C’est-à-dire que cela va apporter de l’angoisse au patient, l’informant des épiphénomènes ou d’une FA qui n’est pas une FA maladie et qui, peut-être, va médicaliser à outrance une pathologie qui est peut-être bénigne ; ou des salves de FA, donc une suite très réservée pour les techniques de dépistage systématique.
Walid Amara — Je ne crois pas obligatoirement au dépistage systématique, je suis intervenu à une session aux JESFC où j’ai parlé de nouveaux outils connectés dans le diagnostic de la FA. J’ai parlé bien sûr de tous les outils qui peuvent être grand public — cela peut être le petit appareil enregistreur que n’importe qui peut acheter sur Internet ou des nouveaux outils qui vont arriver comme la veste ECG qui va faire un ECG 15 dérivations et qui va pouvoir être utilisée un peu comme Holter longue durée haut de gamme ; puisqu’il fera un ECG 15 dérivations, il va pouvoir enregistrer l’ECG. Donc il y a pleins de nouveautés qui ont été également annoncées à ce congrès, qui vont pouvoir être vraiment utilisées dans la pratique. Est-ce que tu aurais un mot pour la fin, un message à passer ?
Philippe Chevalier — Savoir raison garder dans l’ablation et trouver la juste mesure en termes d’indication, de prise en charge et aussi de technique. Voilà, le dernier mot est : la juste mesure pour l’ablation.
Walid Amara — Je pense qu’on a là un excellent message. Je tiens encore à vous remercier de votre attention et je vous donne rendez-vous aux prochaines JESFC, dans un an. À bientôt.

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