Comparaison SACUBITRIL/VALSARTAN et RAMIPRIL

Le regard critique du Dr Mandrola sur les bénéfices de l’association Sacubitril/Valsartan (NDR:ENTRESTO)

Dr John Mandrola

21 mai 2021

 Suite à la présentation de l’étude PARADISE-MI à l’ ACC 2021 , le Dr John Mandrola, cardiologue et éditorialiste bien connu des lecteurs de Medscape Medical News, porte un œil critique sur les résultats de l’étude, l’interprétation qui en a été faite par l’orateur et remet en doute à ce stade l’intérêt thérapeutique de l’inhibition de l’angiotensine et de la néprilysine chez des patients avec une dysfonction ventriculaire gauche après un infarctus du myocarde et même une insuffisance cardiaque. Voici son analyse et ses arguments.

L’essai PARADISE-MI qui a comparé l’association sacubitril/valsartan (ENTRESTO, ndr) au ramipril (TRIATEC, ndr) chez des patients avec une dysfonction ventriculaire gauche après un infarctus du myocarde et une insuffisance cardiaque a été présenté en Late Breaking au congrès de l’American College of Cardiology (ACC) 2021. La session des Late Breaking est généralement l’occasion de présenter les résultats les plus attendus ou les études qui feront le plus parler d’elles. Si l’inhibition de l’angiotensine et de la néprilysine avait été associée à une réduction de la mortalité CV ou des accidents cardiaques, cela aurait été en effet une grande nouvelle.

Sauf que… ce n’est pas le cas.

En résumé

Les patients traités avec l’association sacubitril/valsartan ont été eu 6,7 événements CV pour 100 patient-années, à comparer avec les 7,4 événements CV pour 100 patient-années des patients traités avec le ramipril. La différence absolue de 0,7 correspond à un hazard ratio de 0,90 (IC 95 % [0,78-1,04].

La diapositive qui montre une séparation des courbes de survie de Kaplan-Meier a un axe y (des ordonnées) tronqué de 0 à 0,20. Si les auteurs avaient utilisé un axe y de 0 à 1, les courbes auraient pu être presque superposables.

La valeur P de 0,17 est moins de deux écarts-types par rapport à zéro. Cela signifie que s’il n’y avait pas de différence entre ces médicaments, la probabilité de voir ces résultats serait d’environ un sur cinq. Ce qui ne constitue pas une preuve forte. Ce que l’on considère généralement comme significatif (bien que de façon arbitraire), c’est 1 sur 50, soit P=0,05.

Le taux le plus bas de décès toute cause dans le bras sacubitril/valsartan n’a pas atteint non plus la significativité statistique (P=0,16), pas plus que les trois critères secondaires clés.

Si l’inhibition de l’angiotensine et de la néprilysine avait été associée à une réduction de la mortalité CV ou des accidents cardiaques, cela aurait été en effet une grande nouvelle. Sauf que… ce n’est pas le cas.

Présentation (biaisée) de l’essai PARADISE-MI

Les résultats nous ont été présentés avec différents types de recueil des données : l’un utilisant les événements totaux, l’autre les événements rapportés par les investigateurs.

Pour mémoire, quand les scientifiques font le design d’une étude, ils définissent en avance le critère d’évaluation primaire à évaluer. Les investigateurs de l’essai PARADISE-MI ont choisi la date de survenue du premier événement CV. Ce critère s’est avéré non-significatif.

Quand les auteurs ont analysé les données en utilisant les événements totaux, ils ont observé une réduction relative de 21 % des événements chez les patients traités avec l’association sacubitril/valsartan (IC95%[0,65-0,97], P=0,02). Quand l’analyse était réalisée avec les événements rapportés par les investigateurs, la baisse des événements CV était de 15 % (IC95%[0,75-0,96], P=0,01).

Les effets indésirables ne différaient pas entre les 2 groupes, bien qu’il y ait eu 182 patients de plus (6%) dans le bras sacubitril/valsartan souffrant d’hypotension.

Dans la diapositive de conclusion, le premier point était fidèle au critère d’évaluation primaire : « L’association sacubritil/valsartan n’a pas permis de diminuer significativement la mortalité CV, l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou le besoin d’un traitement ambulatoire de l’insuffisance cardiaque ».

Cela aurait pu être le cas, mais cela ne fut pas.

Dans le deuxième point de cette diapositive, on pouvait lire en revanche que « des observations pré-spécifiées de réductions présentes à la fois dans le rapport des investigateurs sur le critère composite primaire ainsi que sur le nombre total (récurrent) d’événements sélectionnés confortaient l’idée que l’association sacubritil/valsartan apportait des bénéfices cliniques additionnels ».

Alors que l’orateur, le Dr Marc Pfeffer (Harvard Medical School, Etats-Unis) soulignait que les résultats non-significatifs sur le critère d’évaluation primaire prévalaient sur les autres données et les autres hypothèses possibles, c’est le deuxième point que tout le monde a pu voir longuement, prendre en photo et finalement tweeter.

La dernière diapositive de la présentation a montré la baisse de la mortalité de patients après un infarctus du myocarde dans les essais cliniques depuis les vingt dernières années. C’est certainement dû à une meilleure prise en charge générale. Néanmoins, le fait que les événements CV soient moins nombreux rend plus difficile la démonstration de potentiels bénéfices additionnels des nouvelles thérapies. Une mauvaise nouvelle pour l’industrie, mais une bonne pour les patients.

Considérations sur l’essai PARADISE-MI

J’ai bien peur que durant cette session de late breaking, nous ayons eu une démonstration de « spin », c’est-à-dire d’une manipulation de langage qui permet de détourner l’attention des auditeurs quand les résultats ne sont pas statistiquement significatifs.

J’ai demandé à l’expert en essai clinique, Sanjay Kaul (Cedars-Sinai, Los Angeles, Etats-Unis), de commenter les analyses « positives » sur les événements totaux et rapportés par les investigateurs dans le contexte de résultats primaires et secondaires négatifs. Pour lui, ces analyses ne sont pas recevables par les autorités réglementaires. « Les valeurs de P de ces données n’ont pas de signification », explique-t-il dans un email.

Nous ne devrions pas faire l’erreur de considérer les commentaires de Sanjay Kaul comme des détails techniques. L’essai PARADISE-MI a enrôlé des patients à haut risque après un IDM. La fraction d’éjection médiane était de 36 % et les critères d’inclusion comprenaient à la fois une insuffisance cardiaque cliniquement prouvée et 1 des 8 facteurs de risque d’aggravation (diabète, fibrillation atriale, âge de 70 ans ou plus …).

Malgré ces facteurs, l’association sacubitril/valsartan ne surpasse pas significativement le ramipril, un inhibiteur de l’enzyme de conversion générique et peu coûteux. J’ai pris soin d’ajouter l’adverbe « significativement » parce que je ne veux pas totalement écarter la possibilité d’une petite réduction dans l’analyse « temps écoulé jusqu’au premier événement ».

Mais ce n’est pas un avantage suffisant.

L’association sacubitril/valsartan coûte largement plus chère que le ramipril générique. Les coûts comptent dans la mesure où ce qui est dépensé à un endroit ne peut pas l’être ailleurs.

Aussi, nous ne devrions pas ignorer le fait qu’un nombre plus élevé de patients dans le bras « sacubitril/valsartan » souffrait d’hypotension (NDR: voir mes remarques à la fin de l’article). Ce nombre serait sûrement plus élevé en dehors du cadre d’un essai clinique.

Commentaires généraux sur l’inhibition de l’angiotensine et de la néprilysine

Je commence à me poser des questions sur ce médicament. Le sacubitril/valsartan a été étudié dans trois essais cliniques importants avec un manque de significativité statistique pour deux d’entre eux. Dans PARAGON-HF, le sacubitril/valsartan n’a pas eu de résultat significatif comparé au valsartan seul chez des patients insuffisants cardiaques avec une fraction d’éjection préservée.

L’essai PARADIGM-HF , qui comparait le sacubritil/valsartan à l’énalapril chez des patients insuffisants cardiaques en raison d’une fraction d’éjection réduite, a rapporté une réduction remarquable de 4,7 % du risque de mortalité CV, d’hospitalisation liée à l’IC ainsi qu’une réduction significative de la mortalité globale.

Ces données ont été revues avec succès par les autorités réglementaires ce qui a conduit à un changement des recommandations en 2016. Avec le temps, les données, et le marketing, ont installé ce médicament sur le trône des super-médicaments. Dans mon cabinet, on me raconte qu’il a permis à des patients de se sentir considérablement mieux. Certains de mes collègues se sont mis à l’appeler « the big E ».

Cependant, de nombreux auteurs ont publié une évaluation critique de l’essai PARADIGM-HF.
Ahn et Prasad ont interrogé par exemple le run-in inégal des médicaments avant l’inclusion, le dosage de l’énalapril, la pertinence de comparer deux médicaments (le sacubitril et le valsartan) à un seul (l’énalapril)… Et une équipe brésilienne a aussi relevé le dosage possiblement trop faible de l’énalapril.

Ces critiques semblent peser plus à la lumière des deux derniers essais négatifs avec l’association sacubitril/valsartan.

Je commence à me poser des questions sur ce médicament.

Les partisans de l’inhibition de l’angiotensine et de la néprilysine pourraient rejeter les critiques sur PARAGON-HF en argumentant que (1) les patients insuffisants cardiaques avec une fraction d’éjection préservée sont un groupe hétérogène et que (2) la valeur de P est tout de même de 0,06.

Mais le résultat décidément médiocre de PARADISE-MI est plus difficile à nier parce que le profil des patients inclus dans l’étude est (à peu près) similaire à celui des participants de PARADIGM-HF : âge similaire, la fraction d’éjection ventriculaire gauche est dans les 6 % de variation, et les patients souffraient d’une insuffisance cardiaque prouvée cliniquement.

Si vous croyez que le sacubitril/valsartan offre un bénéfice très important par rapport au traitement standard par bloqueurs du système rénine-angiotensine chez les patients avec une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection réduite, pourquoi ne confèrerait-il pas des bénéfices similaires aux patients avec une insuffisance cardiaque débutante en raison d’une dysfonction systolique ventriculaire gauche après un IDM ??

Peut-être que le bénéfice conséquent observé dans PARADIGM-HF était tout simplement une anomalie. Ou bien peut-être que les mauvais résultats dans PARAGON-HF et dans PARADISE-MI s’expliquent par l’utilisation de comparateurs plus équitables : valsartan à une dose plus juste et ramipril.

Conclusion

L’essai PARADISE-MI ne m’a pas convaincu que l’on devrait recourir à l’association sacubitril/valsartan chez les patients avec une dysfonction ventriculaire gauche consécutive à un IDM.

Peut-être qu’une autre leçon à retenir serait que les nouveaux médicaments pour des maladies courantes devraient être validés par deux essais cliniques avant d’être largement acceptés en clinique.

Et les trois conclusions des essais thérapeutiques, prises ensemble, me font m’interroger sur une possible surestimation de l’effet réel de l’inhibition de l’angiotensine et de la néprilysine. Beaucoup d’autres médicaments pour le cœur – bêta-bloquants, inhibiteurs du système rénine-angiotensine, SGLT2 par exemple– ont montré un bénéfice statistiquement robuste dans de multiples études cliniques.

Peut-être qu’une autre leçon à retenir de PARADISE-MI serait que les nouveaux médicaments pour des maladies courantes devraient être validés par deux essais cliniques avant d’être largement acceptés en clinique.

Note du WEBMASTER: Ayant pris les 2 médicaments, je me sentais beaucoup mieux sous ramipril que sous sacubitril/valsartan. La dose recommandée de sacubitril/valsartan provoque de graves hypotensions et aucun effet notable (pour moi en tout cas) sur l’amélioration des symptômes de l’insuffisance cardiaque….