Des lésions cardiaques en post-COVID laissent présager d’une insuffisance cardiaque ultérieure

Steve Stiles

3 août 2020

Allemagne — Dès le début de l’épidémie, il est apparu que le cœur des patients hospitalisés pour Covid-19 pouvait être atteint, en particulier chez ceux souffrant déjà d’une maladie cardiovasculaire (CV) ou présentant des facteurs de risque.

En revanche, jusqu’ici les études de cas et les petites séries disponibles ne permettaient pas de savoir si le SARS-CoV-2 attaquait directement le cœur et si les effets cardiaques aigus de la maladie pouvaient induire une cardiomyopathie persistante.

Les éléments de réponse qu’apportent deux nouveaux rapports publiés le 27 juillet dans le JAMA Cardiology ne sont pas pour rassurer. Il semble que le virus puisse infecter le myocarde, sans nécessairement provoquer de myocardite, et que certains patients, même légers, gardent des lésions myocardiques et une inflammation qui pourraient induire une insuffisance cardiaque à plus long terme.

Une inflammation cardiaque persistante même chez les malades « légers »

Une étude de cohorte prospective de 100 patients guéris d’un récent épisode de la maladie a montré à l’IRM cardiaque des signes de dysfonctionnement ventriculaire, une plus grande masse ventriculaire et, dans 78% de la cohorte, des signes d’inflammation myocardique. Les résultats de l’imagerie étaient corrélés aux élévations de la troponine T ultra-sensible (hs-TnT).(voir encadré en fin d’article).

 

Les deux tiers de la cohorte, dont la gravité de la maladie Covid-19 s’étalait « d’asymptomatiques à symptômes légers à modérés », s’étaient rétablis à domicile, tandis que les autres «patients gravement malades» avaient été hospitalisés, écrivent les auteurs, menés par le Pr Valentina O. Püntmann, Hôpital universitaire de Francfort, Allemagne.

Aucun des patients n’avait d’antécédents d’insuffisance cardiaque ou de cardiomyopathie, bien que certains souffraient d’hypertension, de diabète ou de signes de maladie coronarienne.

« Nos résultats montrent que les participants sans antécédents de maladie cardiovasculaire, qui s’étaient rétablis à leur domicile, avaient une inflammation cardiaque fréquente, qui était similaire au sous-groupe hospitalisé en termes gravité et d’étendue », indique l’équipe.

« Il y a une inflammation myocardique considérable dans le muscle cardiaque des semaines après la guérison de la maladie Covid-19. Cette découverte est importante car elle pourrait signifier un fardeau considérable d’insuffisance cardiaque dans quelques années », a déclaré le Pr Püntmann à theheart.org | Medscape Cardiology.

Un diagnostic précoce offrirait « l’opportunité qu’un traitement précoce puisse limiter l’évolution des lésions inflammatoires ou même l’arrêter », a-t-elle déclaré.

Il y a une inflammation myocardique considérable dans le muscle cardiaque des semaines après la guérison de la maladie Covid-19 Pr Valentina O. Püntmann

« Le diagnostic relativement aisé de la maladie Covid-19 offre une opportunité, que nous n’avons souvent pas avec d’autres pathologies, de prendre des mesures proactives et de rechercher une atteinte cardiaque tôt, quelques semaines après la guérison ».

Les observations à l’IRM d’œdème inflammatoire, de cicatrices et d’épanchement péricardique font partie des « principaux critères de diagnostic de la myocardite inflammatoire et virale», souligne le Pr Biykem Bozkurt, Baylor College of Medicine, Houston, qui n’a pas participé aux études.

 

Les résultats suggèrent – conformément aux données précédentes – que certains patients atteints de Covid-19 peuvent se retrouver avec une inflammation myocardique. Mais cette étude permet de préciser qu’elle pourrait potentiellement devenir subaiguë ou même chronique, et dans certains peut ne pas être totalement réversible, explique-t-elle à theheart.org/ Medscape Cardiology. « Il reste à déterminer combien de temps les effets vont vraisemblablement persister. Nous avons besoin de données sur les résultats à plus long terme ».

Certains patients, qui se sont remis de la phase aiguë de la maladie, peuvent se retrouver avec un état inflammatoire chronique qui les expose probablement à un risque accru d’insuffisance cardiaque à l’avenir, déclare le Pr Bozkurt. « Leur fonction cardiaque pourrait se détériorer, et leur rétablissement pourrait prendre plus de temps qu’avec les maladies virales que nous voyons habituellement », a-t-elle déclaré.

 

« Il pourrait également y avoir un risque de mort subite. L’inflammation peut parfois induire une mort subite et une arythmie ventriculaire inquiétante, surtout si le myocarde est stressé », ajoute le Pr Bozkurt. « Les sports de compétition chez ces patients pourraient donc être à risque. »

 

IRM : cohorte COVID-19 vs sujets témoins appariés

L’étude IRM de Püntmann et coll. a évalué de manière prospective 100 patients récemment rétablis d’un épisode aigu de Covid-19, à domicile ou à l’hôpital, qui ont été suivis dans un registre de l’hôpital universitaire de Francfort. Leur âge médian était de 49 ans; 47% étaient des femmes.

Les participants ont été comparés à 50 patients témoins appariés selon l’âge et le sexe et à 50 volontaires apparemment en bonne santé appariés pour les facteurs de risque.

Les patients récemment rétablis, comparés aux sujets témoins sains et aux sujets témoins appariés aux facteurs de risque, respectivement (P ≤ 0,001 dans chaque cas), avaient :

-une fraction d’éjection ventriculaire gauche (VG) réduite : 56% vs 60% et 61% ;

-un index de volume télédiastolique VG plus élevé : 86 ml / m2 vs 80 ml / m2 et 75 ml / m2

-un index de masse VG supérieur : 51 g / m2 vs 47 g / m2 et 53 g / m2

-un taux de hs-TnT plus élevé : 5,6 pg / mL vs 3,2 pg / mL et 3,9 pg / mL

-une plus grande prévalence des taux de hs-TnT : 3 pg / mL ou plus: 71% vs 11% et 31%

A l’IRM, 78% des patients atteints de Covid-19 qui étaient rétablis avaient des anomalies : cartographie myocardique élevée en T1 et T2, suggérant une fibrose et un œdème dû à une inflammation, par rapport aux deux groupes témoins (P <0,001 pour toutes les différences), « indépendant des conditions préexistantes, de la gravité et de l’évolution générale de la maladie COVID en phase aiguë, et du temps écoulé depuis le diagnostic initial », écrivent les chercheurs. La cartographie T1 et T2 était corrélée significativement avec les taux de troponine ultra-sensible.

Détecter l’inflammation cardiaque

« Nous avons maintenant les moyens de détecter précocement l’inflammation cardiaque, et nous devons tout mettre en œuvre pour le faire dans notre pratique quotidienne », a déclaré le Pr Püntmann à theheart.org/ Medscape Cardiology.

 

« L’utilisation de l’IRM cardiaque nous permettra de mieux lutter contre la maladie Covid-19 et de développer de manière proactive des traitements cardioprotecteurs efficaces », a-t-elle déclaré. « Tant que nous ne disposerons pas de moyens efficaces de protection contre l’infection, c’est-à-dire la vaccination, nous devrons agir rapidement et dans les limites des moyens disponibles. »

 

L’analyse de Püntmann et coll propose plusieurs autres façons de dépister les atteintes myocardiques.

 

Présence virale sans myocardite

L’autre étude publiée dans le JAMA Cardiology est une analyse post-mortem des cœurs de 39 patients atteints de maladie Covid-19 sévère (dans la plupart des cas). Elle rapporte une présence significative de SARS-CoV-2 et des signes que le virus s’est fortement répliqué dans le myocarde.

 

En revanche, il n’y a aucune preuve que l’infection a induit une myocardite fulminante. Au contraire, le virus a apparemment infiltré le cœur en se localisant dans les cellules interstitielles ou dans les macrophages qui se sont implantés dans le myocarde sans réellement pénétrer dans les myocytes, concluent les auteurs, le Pr Diana Lindner et coll. (University Heart and Vascular Center, Hambourg, Allemagne).

 

Les résultats suggèrent « que la présence de SARS-CoV-2 dans le tissu cardiaque ne provoque pas nécessairement une réaction inflammatoire compatible avec une myocardite clinique », écrivent les chercheurs.

 

Jusqu’ici dans la littérature, dans « les cas où l’inflammation myocardique était présente, co-existaient aussi des preuves de myocardite clinique, c’est pourquoi les cas observés actuellement suggèrent une physiopathologie différente », concluent-ils.

 

Le virus était absent dans 15 cas. Dans 16 des 24 cœurs restants, la charge virale dépassait 1000 copies par μg d’ARN, une présence non négligeable. Ces 16 cas présentaient une expression accrue des cytokines inflammatoires mais pas d’infiltrations de cellules inflammatoires ni d’augmentation du nombre de leucocytes, notent les chercheurs.

 

« Les résultats de l’évaluation de la réplication virale dans les cas avec une charge virale très élevée montrent que nous devons faire plus d’études pour avoir une idée des conséquences à long terme », indique l’auteur principal, le Dr Dirk Westermann (University Heart and Vascular Center, Hambourg, Allemagne pour theheart.org/Medscape Cardiology).

La présence de SARS-CoV-2 dans le tissu cardiaque ne provoque pas nécessairement une réaction inflammatoire compatible avec une myocardite clinique  Les chercheurs
 

Dysfonctionnement VG résiduel et d’inflammation chronique

Les découvertes post-mortem de Lindner et coll. suggèrent que « la maladie Covid-19 est associée au moins en partie aux lésions myocardiques, peut-être à la suite d’une infection virale directe du cœur », écrivent les Drs Clyde W. Yancy (Northwestern University, Chicago) et Gregg C. Fonarow (University of California, Los Angeles), dans un éditorial accompagnant les deux études .

 

L’étude d’imagerie (IRM) de Puntmann et coll. – sur fond d’observations antérieures de Covid-19 – suggère un potentiel de « dysfonctionnement ventriculaire gauche résiduel et d’inflammation chronique » dans les mois suivant un diagnostic de Covid-19. Ces deux éléments peuvent être «suffisamment préoccupants pour faire le lit d’une insuffisance cardiaque et d’autres complications cardiovasculaires», affirment les Drs Yancy et Fonarow.

« Les stratégies pourraient inclure de tester les troponines, non seulement à l’admission mais aussi à la sortie et peut-être même les personnes à leur domicile et qui ne nécessitent pas nécessairement de soins », indique le Dr Bozkurt.

 

« L’analyse des biomarqueurs et le dépistage de l’inflammation en cours seront probablement des éléments importants de la maladie Covid-19, en particulier pour ceux qui présentent un risque et une maladie infracliniques. »

 

Selon le Pr Westermann doser les élévations de troponine à la sortie « pourrait être un bon point de départ » pour sélectionner les patients Covid-19 qui nécessiteraient des tests fonctionnels ou une imagerie pour dépister les séquelles cardiaques. Effectuer de tels examens systématiquement « serait insurmontable étant donné l’augmentation massive du nombre de patients que nous observons aujourd’hui encore. »