FA (Fibrillation Atriale): boire ou guérir, faudra-t-il choisir ?

La Nouvelle-Orleans, Etats-Unis – Cardiologue et chroniqueur sur l’édition internationale de Medscape, le Dr John Mandrola a été inspiré par l’essai Alcohol-AF présenté à l ’ACC 2019 . Bien que modeste, avec ses 140 participants, et non encore publiée, cette étude est toutefois la première à avoir évalué, sur un mode randomisé, l’impact d’une réduction drastique de la consommation d’alcool sur la récidive de FA chez des patients ayant une consommation habituelle modérée. Si seuls 61% des patients sont arrivés à une abstinence totale pendant 6 mois, la plupart (86%) ont tout de même réduit leur consommation de plus de 70%, avec des résultats très parlants sur le poids et la sévérité de la FA. De quoi s’interroger sur le message à délivrer à ces patients sur l’alcool. Le Dr Mandrola va même plus loin : si ces résultats sont vérifiés à plus large échelle, l’abstinence sera-t-elle à placer en première place de l’arsenal thérapeutique dans la FA ? Voici une traduction de son commentaire de l’étude paru sur Medscape US  (Lire aussi l’étude détaillée et commentée rapportée par notre confrère Steve Stiles pour l’édition internationale de Medscape : Giving Up Alcoholic Drinks in AF May Cut AF Burden, Recurrence).

A Sobering Breakthrough in AF Care

Les gens boivent de l’alcool pour son goût agréable et parce qu’il provoque parfois des sensations agréables, et j’insiste sur le mot « parfois ».

De nombreuses études établissent un lien entre la consommation d’alcool et la fibrillation auriculaire (FA) , une pathologie où elle peut être responsable de sensations, pour le coup, nettement désagréables. Les médecins conseillent donc, à juste titre, aux patients souffrant de FA de réduire, voire même de supprimer, leur consommation d’alcool.

L’une des principales critiques de ces recommandations en matière de modification du mode de vie, comme peut l’être l’abstinence vis-à-vis de l’alcool, est que la plupart des preuves sont issues d’études observationnelles et sont donc sujettes à des biais. « Montrez-moi un essai contrôlé randomisé », disent les plus sceptiques.

Le Dr Alex Voskoboinik et ses collègues de Melbourne, en Australie, en ont justement réalisé une. Les résultats positifs de l’essai Alcohol-AF, présenté ici à l’ACC 2019, auront deux effets : donner du poids aux conseils de bon sens en les fondant sur des preuves et générer des discussions (et des décisions) difficiles entre médecins et patients.

Recrutement

Les chercheurs ont recherché des patients atteints de FA dans six hôpitaux en vue d’une randomisation dans le cadre d’un essai visant à évaluer l’impact de l’abstinence à l’alcool versus une consommation habituelle. Bien évidemment, pour participer à l’étude, les patients devaient avoir une consommation d’alcool modérée.

L’essai prévoyait un suivi d’un an, mais il a dû être ramené à six mois en raison de « difficultés » en matière d’observance. La consommation moyenne d’alcool des patients inscrits étant de 17 verres par semaine [1 verre correspondant à 12g d’alcool, ndlr], vous voyez le défi ?

Voskoboinik a déclaré que les chercheurs ont passé en revue près de 700 patients et ont fini avec 70 patients dans chaque bras [491 ont refusé d’entrer dans l’étude en craignant d’être assigné au groupe « abstinence », ndlr]. Il s’agissait de patients extrêmement motivés, ce qui est un élément important pour la compréhension des résultats de l’essai.

Les patients inscrits ressemblaient à ceux que nous voyons dans un hôpital qui prend en charge la FA : âge moyen de 61 ans, score CHADSVASC moyen de 1,5, avec environ 2/3 des patients avec une FA paroxystique et environ 1/3 ayant subi une ablation de FA.

Résultats

En moyenne, la consommation d’alcool a nettement diminué dans le groupe des abstinents – tout en précisant que seuls 43 patients sur 70 (61%) ont atteint l’abstinence totale mais que la plupart (86%) ont tout de même réduit leur consommation de plus de 70%.

Mais, même dans ce cas, le premier critère d’évaluation principal – à savoir le temps écoulé avant la récurrence de la FA – a été prolongé de 37% dans le bras « abstinence » (P = 0,004). Le deuxième critère d’évaluation principal, le temps passé en FA, était également significativement réduit, et 46 patients du groupe « abstinence » avaient un temps de FA égal à 0% (p = 0,01) contre 25 du groupe témoin (consommation d’alcool habituelle).

Il y a eu d’autres résultats positifs : l’indice de masse corporelle et la pression artérielle ont été réduits de manière significative dans le bras « abstinence ». Par IRM, les chercheurs ont également mis en évidence des diminutions statistiquement significatives de la surface de l’oreillette gauche (LA) et une augmentation de la fraction de vidange de cette oreillette dans le groupe des abstinents.

Les chercheurs ont conclu qu’une consommation modérée d’alcool de plus de 10 boissons (standards) par semaine est un facteur de risque potentiellement modifiable de la FA. L’abstinence (ou du moins son approche) était associée à une réduction du temps passé en FA, des récidives de FA, à une réduction des symptômes de la FA et à une amélioration de la perte de poids et de la tension artérielle.

Commentaires

Ce qui m’a le plus frappé chez Voskoboinik, c’est son humilité. Lors de sa présentation et à l’occasion de notre entretien et, il a souligné à plusieurs reprises et très clairement les limites de l’étude : elle n’a pas encore été publiée, les patients étaient hautement sélectionnés et motivés, tous les patients ne disposaient pas d’enregistreurs à boucle implantable, et l’évaluation de l’abstinence reposait essentiellement sur les dires du patient.

Si davantage de scientifiques cliniciens affichaient un tel degré d’humilité dans leur travail, il serait plus facile de faire confiance à la science.

J’attends avec impatience le texte intégral, mais la cohérence de ces résultats avec les études antérieures et ce qu’on pouvait attendre, suggère un véritable effet causal.

Les données d’observation associent fortement la consommation d’alcool à la FA – de manière dose-dépendante. On a montré que l’alcool exerce des effets pro-arythmiques autonomes  électriques  et structurels sur l’oreillette. De plus, on peut imaginer que l’on aurait obtenu des résultats encore plus marqués si davantage de participants avaient été réellement abstinents.

Les conclusions d’une baisse de la pression artérielle dans le groupe des abstinents vont également dans le sens d’une analyse exhaustive et d’une méta-analyse récente montrant qu’une diminution de la consommation d’alcool chez les personnes buvant plus de deux verres par jour était associée à une réduction significative de la pression artérielle. Et il est désormais prouvé que diminuer sa consommation de boissons riches en sucres induit une perte de poids.

Voskoboinik en conclut que, parmi les recommandations d’hygiène de vie faites aux patients souffrant de FA, la réduction de la consommation d’alcool devrait être sérieusement envisagée chez les buveurs modérés.

J’irais plus loin. Lorsque l’article sera publié, il va entrainer une sorte de challenge moral.

Si le médecin et le patient savent que réduire l’alcool peut supprimer la FA, ne devrait-il pas être la toute première étape obligatoire avant de prescrire des médicaments et/ou des interventions onéreuses et risquées ? Étant donné les grandes inégalités d’accès aux soins de santé [aux Etats-Unis, ndlr], que penseriez-vous de continuer à procéder à des « ablations » chez des individus afin qu’ils puissent continuer à boire de l’alcool sans souffrir d’épisodes de FA?

 

Les patients inscrits ressemblaient à ceux que nous voyons dans un hôpital qui prend en charge la FA : âge moyen de 61 ans, score CHADSVASC moyen de 1,5, avec environ 2/3 des patients avec une FA paroxystique et environ 1/3 ayant subi une ablation de FA.

Résultats

En moyenne, la consommation d’alcool a nettement diminué dans le groupe des abstinents – tout en précisant que seuls 43 patients sur 70 (61%) ont atteint l’abstinence totale mais que la plupart (86%) ont tout de même réduit leur consommation de plus de 70%.

Mais, même dans ce cas, le premier critère d’évaluation principal – à savoir le temps écoulé avant la récurrence de la FA – a été prolongé de 37% dans le bras « abstinence » (P = 0,004). Le deuxième critère d’évaluation principal, le temps passé en FA, était également significativement réduit, et 46 patients du groupe « abstinence » avaient un temps de FA égal à 0% (p = 0,01) contre 25 du groupe témoin (consommation d’alcool habituelle).

Il y a eu d’autres résultats positifs : l’indice de masse corporelle et la pression artérielle ont été réduits de manière significative dans le bras « abstinence ». Par IRM, les chercheurs ont également mis en évidence des diminutions statistiquement significatives de la surface de l’oreillette gauche (LA) et une augmentation de la fraction de vidange de cette oreillette dans le groupe des abstinents.

Les chercheurs ont conclu qu’une consommation modérée d’alcool de plus de 10 boissons (standards) par semaine est un facteur de risque potentiellement modifiable de la FA. L’abstinence (ou du moins son approche) était associée à une réduction du temps passé en FA, des récidives de FA, à une réduction des symptômes de la FA et à une amélioration de la perte de poids et de la tension artérielle.

Commentaires

Ce qui m’a le plus frappé chez Voskoboinik, c’est son humilité. Lors de sa présentation et à l’occasion de notre entretien et, il a souligné à plusieurs reprises et très clairement les limites de l’étude : elle n’a pas encore été publiée, les patients étaient hautement sélectionnés et motivés, tous les patients ne disposaient pas d’enregistreurs à boucle implantable, et l’évaluation de l’abstinence reposait essentiellement sur les dires du patient.

Si davantage de scientifiques cliniciens affichaient un tel degré d’humilité dans leur travail, il serait plus facile de faire confiance à la science.

J’attends avec impatience le texte intégral, mais la cohérence de ces résultats avec les études antérieures et ce qu’on pouvait attendre, suggère un véritable effet causal.

Les données d’observation associent fortement la consommation d’alcool à la FA – de manière dose-dépendante. On a montré que l’alcool exerce des effets pro-arythmiques autonomes , électriques  et structurels sur l’oreillette. De plus, on peut imaginer que l’on aurait obtenu des résultats encore plus marqués si davantage de participants avaient été réellement abstinents.

Les conclusions d’une baisse de la pression artérielle dans le groupe des abstinents vont également dans le sens d’une analyse exhaustive et d’une méta-analyse récente montrant qu’une diminution de la consommation d’alcool chez les personnes buvant plus de deux verres par jour était associée à une réduction significative de la pression artérielle.. Et il est désormais prouvé que diminuer sa consommation de boissons riches en sucres induit une perte de poids.

Voskoboinik en conclut que, parmi les recommandations d’hygiène de vie faites aux patients souffrant de FA, la réduction de la consommation d’alcool devrait être sérieusement envisagée chez les buveurs modérés.

J’irais plus loin. Lorsque l’article sera publié, il va entrainer une sorte de challenge moral.

Si le médecin et le patient savent que réduire l’alcool peut supprimer la FA, ne devrait-il pas être la toute première étape obligatoire avant de prescrire des médicaments et/ou des interventions onéreuses et risquées ? Étant donné les grandes inégalités d’accès aux soins de santé [aux Etats-Unis, ndlr], que penseriez-vous de continuer à procéder à des « ablations » chez des individus afin qu’ils puissent continuer à boire de l’alcool sans souffrir d’épisodes de FA?