COVID-19 : faut-il abandonner la piste de l’hydroxychloroquine ?

Aude Lecrubier

22 mai 2020

 
 

Pr Jean-Jacques Zambrowski

Paris, France — Les résultats de plusieurs études évaluant l’hydroxychloroquine avec ou sans azithromycine chez des patients hospitalisés pour COVID-19 ont été publiés dernièrement, l’une dans le JAMA , les autres dans le BMJ , dont l’une française, menée par le Pr Matthieu Mahévas, ou encore tout dernièrement dans le Lancet … Tous sont négatifs, l’étude observationnelle de grande taille du Lancet venant de paraître suggérant même un excès de mortalité. Est-il temps d’abandonner cette piste thérapeutique ? Nous avons posé la question au Pr Jean-Jacques Zambrowski (spécialiste en médecine interne, Hôpital Bichat, AP-HP, économiste de la santé, Université Paris Descartes, Paris) qui utilise la molécule chez ses patients atteints de maladies musculosquelettiques depuis plus de 30 ans.

Medscape : Plusieurs études évaluant l’hydroxychloroquine chez des patients hospitalisés pour COVID-19 montrent que la molécule n’est pas efficace dans ce contexte. Qu’en pensez-vous ?

Pr Jean-Jacques Zambrowski : Je ne comprends pas pourquoi certains font des essais chez des patients hospitalisés et déjà sévèrement atteints. Par définition, cela ne peut pas marcher. Cela ne pouvait pas marcher et cela n’a pas marché. Pourquoi jouer cette mauvaise comédie ?

 

Je connais assez bien l’hydroxychloroquine car les internistes comme moi l’utilisent pour traiter le lupus et la polyarthrite rhumatoïde. C’est un médicament qui a des propriétés sur le système immunitaire et l’inflammation. C’est d’ailleurs pour cela que nous l’utilisons dans ces indications.

Qu’au tout début d’une infection quelconque, notamment le coronavirus, il puisse y avoir un intérêt à stimuler les défenses immunitaires ne fait strictement aucun doute. C’est d’ailleurs ce que certains ont essayé de faire en proposant une vaccination contre le BCG.

L’idée est que l’hydroxychloroquine, comme le BCG, stimule les défenses immunitaires au départ, de façon peu spécifique. Si on arrive à se défendre contre le coronavirus au moment où il vous attaque, on est éventuellement prémuni.

Je suis partisan de l’idée que l’hydroxychloroquine pourrait éviter la maladie à cause de ces effets généraux sur l’immunité.

Il faudrait accepter de repositionner ce produit et son potentiel usage au bon moment chez les bons patients.

Medscape : Il ne faut donc pas abandonner cette piste, selon vous ?

J-J. Zambrowski : Les résultats ne sont pas encourageants pour l’hydroxychloroquine, mais cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner. Si le traitement est bénéfique en prophylaxie, il est dommage d’en priver des malades. Jeter le bébé avec l’eau du bain ne serait pas tout à fait honnête, mais adopter le produit sans l’avoir dûment validé serait aussi totalement malhonnête.

On ne peut pas faire courir un risque aux patients. J’attends d’avoir des preuves, des chiffres. Pour l’instant, je ne les ai pas. J’attends loyalement des preuves conclusives du rapport bénéfice-risque, obtenues par des moyens non-discutables. La déontologie impose à ce stade de ne pas laisser circuler le produit. Nous avons eu le Mediator, l’affaire du sang contaminé, je comprends que les agences soient prudentes, voire tout simplement professionnelles. Evidemment, en tant que médecins et patients, on voudrait que cela aille plus vite…

 

Medscape : L’ APHP (essai PREP-COVID chez les soignants) , des hôpitaux parisiens et le NIH aux Etats-Unis ont lancé des études en ambulatoire. C’est donc une bonne idée ?

J-J. Zambrowski : Oui, si cela a un intérêt, c’est là. A mon sens, le Pr Didier Raoult (infectiologue à la tête de l’IHU de Marseille) a raison de proposer l’hydroxychloroquine aux malades qui n’ont pas de symptômes. Mais, à mon sens, il est dommage que le Pr Raoult, qui est par ailleurs un éminent scientifique, ait, au nom de critères que l’on peut ne pas partager (choix délibéré de ne pas avoir de groupe placebo pour des raisons éthiques), choisi d’emprunter une méthodologie critiquable par définition. C’est plus que regrettable.

 

Encore une fois, je n’hésiterais pas à donner de l’hydroxychloroquine avec ou sans azithromycine s’il y avait une étude probante malgré le spectre des effets indésirables possibles car je les connais. Après, est-ce qu’en pratique, on pourrait faire un ECG et un examen ophtalmologique à tous les malades suspects de COVID pour s’assurer à l’initiation du traitement qu’ils ne sont pas à risque de complications ? Je n’en suis pas sûr. Il appartiendrait à ceux qui en donnerait l’autorisation de faire les mises en garde.

 

Medscape : Certains disent que l’utilisation de l’HCQ a permis à des pays africains d’être moins touchés par l’épidémie. Qu’en pensez-vous ?

J-J. Zambrowski : C’est peut-être aussi parce qu’il fait chaud, qu’il n’y a pas de métro dans lequel on s’entasse à 8h du matin, pour tout un tas de raisons épidémiologiques, démographiques… Aussi, on ne peut pas être sûr des chiffres dans certains endroits d’Afrique. Alors, de là à penser que c’est grâce à l’hydroxychloroquine, cela me parait un peu rapide. Il y a beaucoup de « peut-être » dans cette épidémie. Il ne faut pas spéculer.

 

Medscape : Pour revenir sur les effets secondaires de l’hydroxychloroquine, certaines études montrent un taux d’effets indésirables très importants, d’autres disent l’utiliser depuis des années sans problème. Que faut-il en penser ?

J-J. Zambrowski : Je donne cette molécule à mes patients depuis plus de 30 ans. Oui, il y a des effets secondaires très significatifs avec ce médicament. Chez les patients qui ont un lupus ou une polyarthrite rhumatoïde et qui reçoivent de l’hydroxychloroquine, nous faisons régulièrement des électrocardiogrammes et des examens ophtalmologiques. Toutefois, un traitement de courte durée à une posologie bien étudiée est probablement plus innocent qu’un traitement de longue durée à fortes doses.

 

Medscape : L’ agence espagnole du médicament a rapporté 6 suicides qui pourraient être liés à molécule. Avez-vous déjà observé de telles effets psychiatriques ?

J-J. Zambrowski : Il y a des antécédents d’effets secondaires neurologiques. Je n’ai pas connaissance d’effets psychiatriques, mais ce n’est pas parce que je ne les connais pas qu’il n’y en a pas. En règle générale, il y a beaucoup d’effets secondaires qui ne sont pas rapportés. Mais, on sait aussi que les patients qui ont peur de mourir peuvent développer un syndrome de stress post-traumatique. Il faut avoir de l’humilité sur tout ce que l’on ne sait pas.

 

Medscape : Vous parlez d’humilité, la recherche sur l’hydroxychloroquine est-elle entravée par les querelles d’experts ?

J-J. Zambrowski : Dans cette crise, nous ne sommes pas toujours dans l’objectivité scientifique. L’urgence devient de la précipitation et la raison disparait. Il y a une pression énorme sur les chercheurs, ce qui est délétère.  Il y a aussi un certain nombre d’intérêts industriels, commerciaux, notamment du côté des fabricants d’antiviraux. Je ne crois pas que les gens soient malhonnêtes, mais ils sont pressés, au sens de pressurisé et de pousser à être le premier à trouver le médicament.

 

Il n’est pas plus raisonnable de publier des résultats sur l’hydroxychloroquine sans revue par les pairs que d’annoncer les résultats positifs sur le tocélizumab en conférence de presse avant d’avoir publié les résultats.

 

Les enjeux de prestige, de finance, de primauté politique, d’influence sont énormes, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une pandémie et de la vie de patients.