COVID-19 grave : résultats prometteurs avec l’anti-IL1 anakinra

Marine Cygler

1er juin 2020

 
 

Paris, France – Dans l’attente d’un traitement et/ou d’un vaccin, différentes stratégies ont été mises en œuvre pour éviter la détérioration des formes graves du COVID-19. A Paris, une équipe multidisciplinaire du Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph (GHPSJ) a opté pour une stratégie reposant sur une biothérapie ciblant l’interleukine 1, l’anakinra (Kineret®, Swedish Orphan Biovitrum SARL), chez des patients atteints du SARS-CoV-2 oxygénorequérants et risquant à court terme un transfert en soins intensifs. Pour ces patients, l’administration de cette biothérapie ayant une AMM dans la polyarthrite rhumatoïde a diminué de façon remarquable le risque de décès et de passages en réanimation pour assistance respiratoire par ventilation mécanique. Cette étude observationnelle vient d’être publiée dans The Lancet Rheumatology .

« Il faut se remettre dans le contexte de la mi-mars : il n’y avait pas encore d’essai thérapeutique disponible en France et les malades arrivaient de manière massive. Il fallait absolument éviter un engorgement du service de réanimation », rappelle le Pr Jean-Jacques Mourad, chef du service de médecine Interne du GHPSJ, co-auteur de l’étude. Interrogé par Medscape édition française, il poursuit « nous avons décidé d’établir une stratégie compassionnelle pour ces patients présentant un risque de transfert en réanimation. L’anakinra s’est rapidement imposée ». L’idée : empêcher les réponses hyperinflammatoires qui ressemblent aux orages cytokiniques, et ainsi diminuer le risque d’aggravation des symptômes.

Dès que nous avons commencé avec l’anakinra… il n’y avait plus tous ces morts, ces transferts en réanimation

« Dès que nous avons commencé avec l’anakinra, nous avons pacifié la salle, il n’y avait plus tous ces morts, ces transferts en réanimation… cela a soulagé les patients mais aussi tout le personnel soignant », témoigne-t-il aujourd’hui.

« Cette étude constitue à ce jour la preuve la plus aboutie que l’anakinra peut être bénéfique pour les patients avec un orage cytokinique associé au COVID-19. La réduction significative de la mortalité liée à l’utilisation d’anakinra dans l’indication COVID-19 est encourageante », s’enthousiasme le Pr Randy Cron (rhumatologue, Université d’Alabama, Etats-Unis) dans un éditorial[2]  qui accompagne l’article.

 

Le choix de l’anakinra

Spécialiste de l’orage cytokinique, Le Pr Cron rappelle que sur la base des expériences rapportées avec d’autres coronavirus mortels, l’OMS ne recommande pas les glucocorticoïdes pour les patients COVID-19. « Cependant, cibler les cytokines a prouvé son efficacité dans d’autres syndromes d’orage cytokinique et est intéressant en raison de la faible fréquence des effets indésirables associés » écrit-t-il.

Concernant le choix de la molécule, les rhumatologues, internistes, pneumologues, pharmaciens et urgentistes du GHPSJ ont choisi l’anakinra, qui cible l’interleukine 1, en raison de sa cinétique d’action rapide adaptée à l’évolution très rapide de l’état de santé des patients atteints du Covid-19. Ce médicament agit très rapidement. Aussi, sa demi-vie est courte. « Il ne fallait pas que les patients soient trop immunodéprimés au cas où un transfert en réa aurait été nécessaire », commente le Pr Mourad.

Ajouté à cela, la bonne tolérance – pas d’augmentation des infections, ce qui est un impératif pour ces patients, et le fait que cette biothérapie soit l’une des moins onéreuses, l’anakinra a pris le dessus sur les autres stratégies.

Une réduction spectaculaire du passage en réanimation

« Nous donnons l’anakinra aux patients hospitalisés selon les besoins en oxygène et les critères biologiques d’hyperinflammation (CRP, ferritines)» explique le Pr Mourad qui indique que maintenant « plus de 125 patients ont été traités avec l’anakinra et que le signal positif est toujours présent ».

L’article paru dans le Lancet Rheumatology porte néanmoins sur un nombre moindre de patients, ceux qui remplissaient les critères et qui ont été hospitalisés sur une période de deux semaines, entre le 24 mars 2020 et le 6 avril 2020.

Ce sont donc 52 patients qui ont été inclus dans le groupe « anakinra ». Ils ont reçu l’anakinra en subcutané (100mg deux fois par jour pendant trois jours, puis 100 mg quotidiennement pendant sept jours) en plus du traitement standard. Ils ont été comparés à un groupe contrôle de 44 patients qui a reçu le traitement standard.

Notre étude reste observationnelle et il faut attendre les résultats d’essais
 

L’admission en réanimation pour assistance respiratoire par ventilation mécanique ou le décès ont concerné 13 (25%) patients du groupe anakinra, versus 32 (73%) patients dans le groupe contrôle (Risque relatif [HR] = 0,22 [IC 95% 0,11–0,41; p<0,0001). L’effet du traitement par anakinra reste significatif après analyse multivariée (RR= 0,22 [ IC 95% 0,10–0,49]; p=0,0002).

Parmi les 29 patients du groupe anakinra, toujours en vie et ne nécessitant pas d’assistance respiratoire, une diminution rapide des besoins en oxygène a été observée au bout de sept jours de traitement, le besoin moyen passant de 7L/min à JO à 2L/min à J7.

 

Quant aux effets indésirables, ils sont limités, mais une augmentation des aminotransférases hépatiques s’est produite chez 13 % des patients du groupe anakinra, contre 9 % dans le groupe contrôle. Jean-Jacques Mourad précise qu’aucune hépatite fulgurante n’est survenue.

 

Pour les pays actuellement touchés par la « vague »

Différents essais thérapeutiques évaluent aujourd’hui la stratégie de blocage de l’IL-1 pour des patients atteints de Covid-19 avec des signes d’hyperinflammation. « En attendant les résultats de ces essais, trois petites séries de cas ont rapporté des bénéfices de l’anakinra chez des patients COVID-19 » indique le Pr Randy Cron.

C’est un traitement… qui a vraiment évité la saturation de notre capacité de réanimation
 

« Notre étude reste observationnelle et il faut attendre les résultats d’essais. Cela dit, notre niveau de preuve est un niveau 2, ce qui n’est pas mauvais », explique le Pr Mourad considérant que l’approche du GHPSJ pourrait intéresser les pays, notamment le Brésil, qui voient arriver la vague. « C’est un traitement bien toléré, en sous-cutané et qui a vraiment évité la saturation de notre capacité de réanimation ».