Takotsubo : des séquelles à long terme

Dr Jean-Pierre Usdin

24 janvier 2019

Rome, Italie – Que deviennent sur le long terme les patients ayant souffert d’un takotsubo ? Est-ce vraiment la pathologie bénigne que l’on a décrite pendant des années ? Avec un taux de décès hospitaliers de 1,8%, un taux annuel de mortalité totale de 3,5% par année et un pourcentage de récidives de 1% par an, une analyse rétrospective sur 4700 patients suivis sur le long terme montre que cette notion est toute relative.

 « Notre analyse permet une actualisation des données à long terme chez les patients hospitalisés pour un TS. Elle montre que la mortalité et les récidives sont loin d’être triviales. Nous avons identifié des modes de présentations (âge avancé, agression physique et ballonnisation atypique) qui sont significativement associés à un pronostic défavorable à long terme » concluent les auteurs. Cette analyse a été publiée dans le JACC.

Une réputation de bénignité usurpée ?

Lors des premières descriptions dans les années 90, le syndrome de Takotsubo (TS) avait la réputation d’être bénin et transitoire. Sa circonstance de survenue en majorité chez les femmes au moment d’un épisode émotionnel n’est pas pour rien dans l’appréciation de son évolution alors estimée favorable… ce lieu commun définissant le TS comme un événement aigu sans lendemain, est battu en brèche par le nombre de plus en plus important de cas décrits et suivis à long terme.

Ses multiples dénominations : ballonnement apical du ventricule gauche, cardiomyopathie de stress, syndrome du cœur brisé, ses circonstances de survenue : stress émotionnel, stress physique lors d’un sepsis ou d’un polytraumatisme, le terrain et les comorbidités, témoignent du caractère hétérogène de cette affection myocardique aiguë dont le pronostic à court et long termes est variable.

 La définition selon l’ESC

Pour les experts de l’European Society of Cardiology (4th Universal MI. 2018) : « La cardiomyopathie TS est trouvée chez 1 à 2% des patients ayant une suspicion d’infarctus du myocarde. Les complications cardiovasculaires surviennent chez environ 50% des patients. La mortalité hospitalière de 4 à 5%, similaire à un SCA ST+, est due à un choc cardiogénique, une arythmie ventriculaire ou une rupture cardiaque (…) Des anomalies de la fonction cardiaque, des troubles du rythme peuvent persister à long terme chez 10 à 15% des patients ».

La plus grande série de données sur le long terme

Aussi le travail de synthèse de Francesco Pelliccia et coll (Department of Cardiovascular Sciences. La Spienza University Rome Italy) est une étape importante dans l’évaluation du pronostic à long terme du TS. Les auteurs ont colligé 54 études observationnelles entre 2006 et 2017 ayant trait au TS depuis les premières publications. Ils se sont intéressés aux cas publiés dans le monde entier pour peu que le suivi soit supérieur à 6 mois. Ils ont abandonné les registres pour éviter les doublons. Ce travail minutieux en fait la plus grande série de données sur le long terme avec 4 700 cas répertoriés (87% de femmes, l’âge moyen entre 53 et 75 ans).

Les événements cliniques ont été pris en compte dans leur analyse : la mortalité hospitalière, la mortalité après la sortie (toutes causes et cardiaques) et les récidives pendant le suivi.

Modes de présentation : pas de surprise

Quelles causes pour le takotsubo ? Dans 36% des cas, un stress émotionnel (TS primaires) était à l’origine du TS. Les stress physiques au cours d’hémorragies intracrâniennes, de choc infectieux, chez les polytraumatisés (syndrome de TS secondaires) étaient présents dans les mêmes proportions.

Sur le mode de présentation, pas de surprise. La douleur thoracique est décrite dans 64%, des signes de défaillance cardiaque aiguë sont retrouvés dans la moitié des présentations. Les marqueurs cardiaques sont élevés dans toutes les études. La fraction d’éjection ventriculaire gauche est en moyenne de 40% (28 à 54%) et l’aspect ECG ST+ est décrit pour près de la moitié des patients alors qu’un profil ECG ST- est noté chez 15% d’entre eux. Les arythmies graves concernent 10% des cas. L’aspect ventriculaire princeps est visualisé chez 72% des patients.

Les facteurs de risques vasculaires – quand ils sont décrits – sont superposables à ceux de l’athérosclérose, 25% des patients étaient fumeurs, 60% souffraient d’hypertension. Certaines études rapportent le taux de comorbidités psychologiques (18%), des cancers (14%)…

Mortalité et récidives

112 patients sont décédés pendant le séjour hospitalier, soit une fréquence de 1,8% (1,2- 2 ,5%), mais les auteurs font état d’une hétérogénéité significative selon les publications.

Sur une médiane de suivi de 28 mois (23-34 mois), 464 patients sont décédés (10,2%) : 351 de causes non cardiaques (78%) et 103 de causes cardiaques (22%). Le taux de décès annuel était de 3,5% (2,6- 4,5%), avec un taux significativement hétérogène entre les études.

51 études ont signalé des récidives, selon un taux annuel ajusté est 1% (0,7-1,3%). Sur ce point, les résultats étaient homogènes selon les études.

Facteurs prédisposant à une évolution défavorable

Par analyse en méta-régression, les auteurs ont cherché à établir les facteurs prédisposant à une évolution défavorable.

Ils ont ainsi montré que le stress physique précédant le TS est associé à une mortalité intra-hospitalière plus élevée. L’âge avancé, l’aspect atypique de la ballonnisation, le stress physique sont, eux, des facteurs associés à une mortalité plus importante pendant le suivi. En revanche, l’insuffisance cardiaque à la présentation n’apparait pas comme un facteur de risque de mortalité.

Les différents modes de présentation, et en particulier l’insuffisance cardiaque initiale, ne sont pas associés à plus de récidives.

Les auteurs reconnaissent des limites inhérentes à une analyse rétrospective : la possibilité de doublons, l’absence de groupe témoin ou de groupe coronarien appariés, l’impossibilité de définir le traitement, ou encore les causes de décès non cardiaques.

Takotsubo : une cardiomyopathie transitoire et bénigne ? C’était un piège !

Dans un éditorial accompagnant l’article, Christian Napp (Cardiac Arrest Center. Dept Cardiology Angeiology, Medical School Hanover, Allemagne) se souvient qu’en 2005, « la perception typique du TS était celle d’une femme âgée, après un stress émotionnel, qui guérit sous bêtabloquant : une maladie transitoire bénigne » , ajoutant qu’aujourd’hui « l’image [d’Epinal] du TS est sévèrement mise à mal ».

En quelques années, des mises à jour successives ont modifié notre vision de cette cardiomyopathie : le rôle des stress physiques et l’existence de formes avec ballonnisation atypiques. L’IRM cardiaque a trouvé une place dans le diagnostic différentiel avec les myocardites et a mis en évidence des lésions myocardiques persistantes (évolutives ?) après guérison supposée.

Reste le caractère hétérogène de cette cardiomyopathie, et notamment son évolution – avec des décès hospitaliers et ultérieurs rapportés respectivement entre 1,8 et 6,3%, et 3,5%/an et 5,6%/an. Et surtout trois fois plus de décès non cardiaques laissant supposer que des conditions concomitantes joueraient un rôle dans le pronostic.

« Le TS relèverait plus d’une maladie intermittente chronique que d’une condition transitoire » considère l’éditorialiste, sans que l’on sache à quoi attribuer ou comment traiter les récidives.

Si cette publication est importante, parce qu’elle apporte des éléments significatifs concernant le pronostic et l’évolution du TS notamment en cas d’agression physique, « il reste néanmoins de nombreuses questions concernant la pathogénie, le traitement de la phase aiguë (et du choc cardiogénique) la prévention des récidives et la durée du traitement qui feront la part belle aux études prospectives » prédit Christian Napp. 

Le TS relèverait plus d’une maladie intermittente chronique que d’une condition transitoire.« Christian Napp »