Xénogreffe du cœur de porc : des tracés ECG déroutants

Marlene Busko

10 novembre 2022

Chicago, Etats-Unis __ Lors de la première transplantation d’un cœur de porc génétiquement modifié chez l’homme en janvier, des tracés ECG inattendus ont été observés mais n’ont apparemment pas affecté la fonction du cœur, bien que l’organe ait brutalement commencé à défaillir au 50e jour.

Une étude de ces modifications ECG, qui a été présentée par le Dr Calvin Kagan et ses collègues lors du congrès de l’ American Heart Association (AHA) 2022 , apporte un nouvel éclairage à cette opération inédite[1].

Pour rappel, le patient, David Bennett, 57 ans, vivant dans le Maryland, souffrait d’une cardiopathie en phase terminale et était un mauvais candidat pour un dispositif d’assistance ventriculaire et inéligible pour une transplantation cardiaque humaine, lorsqu’il a consenti à être le premier humain à être transplanté avec un cœur de porc auquel un certain nombre de gènes avaient été ajoutés ou inhibés dans le but, en partie, de prévenir le rejet.

Le cœur a d’abord bien fonctionné après avoir été transplanté lors d’une opération à l’école de médecine de l’université du Maryland (UMSOM) à Baltimore le 7 janvier, mais la situation s’est dégradée au cours du deuxième mois et M. Bennett est décédé le 9 mars.

La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis avait accordé une autorisation d’urgence à l’opération dans le cadre de son programme « d’utilisation compassionnel », a déclaré le co-auteur de l’étude, le Dr Muhammad Mohiuddin, dans une interview accordée à theheart.org | Medscape Cardiology.

« Nous avons beaucoup appris et nous espérons pouvoir faire plus », a précisé le directeur scientifique et directeur du programme de xénotransplantation cardiaque à l’UMSOM.

« Soudain, au 50e jour, le cœur a commencé à s’épaissir et à perdre en souplesse », a expliqué l’auteur principal de l’étude, le Dr Timm Dickfeld, directeur de la recherche en électrophysiologie à l’UMSOM. Une biopsie a révélé une accumulation importante de liquide interstitiel qui limitait les mouvements. Le fluide a ensuite été remplacé par du tissu fibreux, ce qui a entraîné des dommages irréversibles.

Paramètres ECG persistants et prolongés

Dans le cœur d’un porc génétiquement modifié, trois gènes associés au rejet et un gène associé à la croissance du tissu cardiaque du porc avaient été inactivés et six gènes humains associés à tolérance immunitaire avaient été ajoutés.

Le traitement immunosuppresseur du patient comprenait un médicament antirejet expérimental (Kiniksa Pharmaceuticals ; Lexington, Massachusetts).

Le patient a bénéficié d’ECGs (à 12 dérivations) quotidiens après la transplantation.

Lors de recherches antérieures utilisant un cœur de porc transplanté dans un corps de porc, les lectures ECG ont montré un intervalle PR court (50-120 ms), une durée QRS courte (70-90 ms) et des intervalles QT courts (260-380 ms).

Cependant, dans le cœur de porc transplanté à David Bennett, les tracés ECG initiaux ont montré un intervalle PR plus long de 190 ms, une durée QRS de 138 ms et un QT de 538 ms.

Les intervalles PR intrinsèques prolongés sont restés stables au cours de l’évolution postopératoire (210 ms, intervalle 142-246 ms).

La durée du QRS est également restée prolongée (145 ms, plage 116-192 ms), mais s’est raccourcie pendant l’évolution postopératoire (jours 21-40 vs 41-60 : 148 ms vs 132 ms ; P < 0,001).

L’augmentation de l’intervalle QT a persisté (509 ms, intervalle 384-650 ms) avec des fluctuations dynamiques. La durée la plus courte de l’intervalle QT a été observée le 14e jour (P < 0,001).

« Dans un cœur humain, lorsque ces paramètres s’allongent, cela peut indiquer des signes de maladie électrique ou myocardique », a expliqué le Dr Dickfeld dans un communiqué de presse de l’AHA.

« La durée du QRS peut s’allonger lorsque, par exemple, le muscle et le système électrique lui-même sont malades, et c’est pourquoi l’électricité met beaucoup de temps à passer d’une cellule à l’autre et à diffuser d’un côté du cœur à l’autre », a-t-il ajouté.

« Dans le cœur humain, la durée du QT est corrélée à un risque accru d’arythmies », a-t-il précisé. « Chez notre patient, il était inquiétant que la mesure du QT soit prolongée. Bien que nous ayons observé quelques fluctuations, la mesure du QT est restée prolongée pendant l’ensemble des 61 jours. »

Chez notre patient, il était inquiétant que la mesure du QT soit prolongée.

« Étude intéressante »

Deux experts qui n’ont pas été impliqués dans cette recherche ont commenté ces résultats pour theheart.org | Medscape Cardiology.

« Cette étude, très intéressante, confirme les difficultés de la xénotransplantation, et la nécessité de poursuivre les recherches pour pouvoir surveiller en toute sécurité les receveurs, car les valeurs de base sont inconnues », a déclaré le Pr Edward Vigmond de l’Institut d’électrophysiologie et de modélisation du cœur (LIRYC) de l’Université de Bordeaux en France,

Le chercheur, qui a publié une étude connexe sur un modèle de transposition de l’électrophysiologie du porc à l’homme, a expliqué que l’ECG est sensible au schéma d’activation électrique du cœur, ainsi qu’aux propriétés électriques des cellules et des tissus.

« Bien que les porcs et les humains soient de taille similaire, il existe de nombreuses différences entre eux », a-t-il fait observer, notamment « l’étendue du système de conduction rapide du cœur, le nombre de noyaux dans les cellules musculaires, les protéines de la membrane cellulaire qui contrôlent l’activité électrique, l’orientation du cœur et du thorax, et l’utilisation du calcium à l’intérieur de la cellule ».

Est-ce que ces changements sont liés aux modifications génétiques, étaient-ils déjà inhérents à l’ECG du porc avant la transplantation ou résultent-ils des difficultés liées à l’opération de transplantation (telles que les lésions d’ischémie-reperfusion et les interactions immunologiques précoces) ? « Cela doit être clarifié », a déclaré le Dr Mandeep R. Mehra, de la Harvard Medical School et de Brigham and Women’s Medicine à Boston.

« Connaitre ces variations est important pour déterminer si un simple paramètre de l’ECG peut être utile pour indiquer une pathologie en développement ».

« Auparavant, dans la transplantation humaine, nous utilisions souvent des paramètres ECG, comme un changement d’amplitude, pour identifier les signaux de rejet », a-t-il poursuivi. « Si de telles variations sont survenues [dans ce premier cas de xénogreffe de porc], alors, cela pourrait être un autre aspect intéressant à explorer. »

Voir aussi:

Dans l’Actu : les xénogreffes

Un cœur de porc greffé sur un homme!