Des pacemakers recyclés aussi performants que des neufs

Adélaïde Robert-Géraudel

2 avril 2013

 

Mexico, Mexique – La réutilisation de pacemakers est non seulement faisable mais sûre, seule la durée de vie de la batterie différencie véritablement le dispositif réimplanté du dispositif neuf – et encore est-elle supérieure aux attentes.

C’est ce que conclut une étude parue dans Circulation menée par l’équipe de Santiago Nava (Mexico, Mexique).

Dans le Centre national de cardiologie « Ignacio Chavez », la réimplantation de pacemakers prélevés sur des personnes décédées – après une sélection et une stérilisation rigoureuses – est une pratique courante, mais réservée aux personnes qui ne peuvent se procurer un pacemaker neuf par d’autres moyens, expliquent les auteurs.

Les preuves de la sécurité d’emploi et de l’efficacité de cette pratique étant insuffisantes, l’équipe a réalisé une étude de non-infériorité.

 

Entre 2000 et 2010, un dispositif recyclé stérilisé a été implanté chez 307 patients (96% de ces dispositifs étaient d’origine cadavérique) et un dispositif neuf chez 296 autres.

Les pacemakers recyclés avaient été soit prélevés au Centre, après accord des familles, soit offerts par les familles qui les avaient récupérés auprès d’autres hôpitaux ou services funéraires.

Tout dispositif présentant des signes externes d’usure était éliminé. Les autres étaient stérilisés et le niveau de la batterie, l’impédance et les valeurs programmées étaient contrôlés. Seuls les dispositifs ayant une capacité de charge suffisante pour fonctionner au moins quatre ans étaient éligibles.

Le critère primaire de l’étude était un critère composite associant un déchargement inattendu de la batterie, une infection et un dysfonctionnement du pacemaker.

Une espérance de vie d’environ 6 ans pour la batterie

Après 4,16 ans de suivi médian, 85 pacemakers ont dû être explantés dont 54 étaient des pacemakers recyclés. Le taux d’explantation était ainsi de 10,5% dans le groupe « pacemaker neuf » et de 17,6% dans le groupe « pacemaker recyclé », soit un risque relatif de 1,68 (IC 95% 1,1-2,5, p=0,02).

La différence s’explique essentiellement par la durée de vie de la batterie. Le taux d’explantation toute cause confondue des pacemakers recyclés dépasse ainsi celui des pacemakers neufs, surtout après les cinq premières années de suivi.

Pour autant, « la durée de vie moyenne pour les pacemakers re-stérilisés a été plus élevée qu’attendu », soulignent les auteurs. Elle était de 6,17 ans pour les pacemakers recyclés contre 8,9 ans pour les pacemakers neufs.

 

Le critère primaire a été atteint dans 5,5% des cas dans le groupe « pacemaker neuf » et dans 7,2% dans le groupe « pacemaker recyclé », soit un risque relatif de 1,3 (IC 95% 0,7-2,45, p=0,794). De ce fait, l’étude conclut à la non-infériorité du pacemaker recyclé.

 

Un déchargement inattendu de la batterie a concerné 1,7% des pacemakers neufs et 3,6% des pacemakers recyclés, soit un risque relatif de 2,12 (IC 95% 0,75-6, p=0,116).

 

Une infection liée à la procédure s’est déclarée chez 3,7% des porteurs de pacemakers neufs et 3,2% des porteurs de pacemakers recyclés, soit un risque relatif de 0,87 (IC 95% 0,38-2,03, p=0,46), sans différence sur le type d’infections.

Enfin, un seul pacemaker a présenté un dysfonctionnement lié à la détérioration de la vis d’une électrode, et il s’agissait d’un pacemaker recyclé. Depuis, les vis sont soigneusement inspectées avant re-stérilisation, soulignent les auteurs, qui précisent que ce dysfonctionnement est resté sans conséquence pour le patient.

 

Les auteurs jugent la non réutilisation non éthique

 

Le recyclage des pacemakers semble ainsi un procédé intéressant, et ce, soulignent les auteurs « indépendamment de considérations économiques » -qui deviennent néanmoins prégnantes un peu partout dans le monde.

 

Pour autant, les réglementations concernant le recyclage de dispositifs médicaux à usage unique (single use devices, SDU) dont font partie les stimulateurs cardiaques, sont encore très disparates.

 

Aux Etats-Unis, la FDA a établi depuis 2000 un cadre réglementaire pour la réutilisation des dispositifs médicaux à usage unique. Concernant les pacemakers, la FDA a cependant souligné la difficulté de savoir si les pacemakers pouvaient être correctement restérilisés après une première implantation dans la mesure où des fluides corporels pouvaient pénétrer dans les sondes.

 

L’Union européenne, elle, n’a pas de réglementation commune. En 2010, le SCENHIR (Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks) a publié un document sur la sécurité des dispositifs médicaux à usage unique recyclés dans lequel il suggère de bien encadrer ces pratiques, mais s’inquiète du risque d’infection par le prion. La Commission européenne a par la suite adressé au Parlement un document qui reprend l’avis du SCNEHIR.

 

Pour l’heure, chaque Etat membre a sa propre réglementation. En France, le principe de non réutilisation s’applique pour garantir l’absence de transmission iatrogène d’organismes pathogènes et d’accident relevant du domaine de la matériovigilance (voir encadré ci-dessous).

 

Le risque infectieux et les doutes concernant l’efficacité des dispositifs réimplantés sont en effet les principaux freins, avec les aspects éthiques.

 

Or une fois que la preuve de la sécurité d’une telle procédure est apportée, ce qui serait non éthique c’est plutôt de ne pas la proposer, jugent Santiago Nava et ses collègues.

 

Ceux-ci pointent le fait que la décision de labelliser un dispositif médical à usage unique est prise par le fabricant, et qu’il n’est pas nécessaire, pour restreindre ainsi l’usage des appareils, de démontrer que leur restérilisation comporte un risque.

 

Ils dénoncent à ce sujet l’attitude de certains fabricants qui, au Mexique, « ont pour politique de ne pas fournir de nouvelles électrodes pour les pacemakers restérilisés ».

 

Ils déplorent en outre que 44% des dispositifs explantés atterrissent dans les déchets médicaux et que seuls 18% soient donnés pour un usage humain dans les pays en développement.

En France : ré-utiliser non, mais collecter pour un recyclage à l’étranger, oui 

En France, les pacemakers doivent être explantés post-mortem par un médecin ou un thanatopracteur. La législation (article R.2213-15 du code général des collectivités territoriales) l’impose, que la personne soit enterrée (risque de pollution environnementale) ou incinérée (risque d’explosion dans l’incinérateur).

Deux choix sont alors possibles : l’élimination ou, dans certains cas, la collecte pour d’autres pays.

Classés déchets dangereux non seulement du fait de la présence de la batterie au lithium mais du fait du risque infectieux, les pacemakers dépendent d’une filière d’élimination particulière, celle des dispositifs médicaux implantés actifs (DMIA).

Un DMIA est éliminé soit via le prestataire de l’établissement où il a été explanté soit via le fabricant. Les prestataires recyclent les pacemakers mais il s’agit uniquement d’un recyclage matière de certains métaux contenus dans ces dispositifs.

Le retour des DMIA aux fabricants leur permet de mener des études sur les dispositifs usagés. Cette pratique a un intérêt économique pour le producteur de déchet car il limite le recours aux prestataires spécialisés. Or celui-ci a un coût puisque le producteur de déchet doit payer la différence entre le prix de la collecte et du traitement, et le bénéfice réalisé à partir de la revente des métaux.

Mais il existe une autre possibilité, encouragée par le Syndicat professionnel des thanatopracteurs indépendants et salariés [3], et qui consiste à collecter les pacemakers au bénéfice de STIMUBANQUE, une association qui se charge de récupérer les pacemakers ou les défibrillateurs pour les réutiliser dans d’autres pays.

Dans ce cas, vante le Syndicat, le coût d’élimination n’a plus à être supporté, il suffit de payer les frais d’acheminement.

STIMUBANQUE gérée par le Dr Bernard Dodinot (Nancy), fait partie de l’association StimDéveloppement gérée par le Pr Xavier Jouven (Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris).

Celle-ci ne collecte que les modèles de moins de deux ans dont la longévité résiduelle est d’au moins cinq ans, et seulement certains modèles dont une liste a été mise à jour en février 2013.

Ndlr : Et qui se chargera de l’élimination des pacemakers dans les pays en développements ?

Une étude relance l’intérêt de la ré-utilisation des pacemakers et défibrillateurs usagés

 

Montréal, Canada — La réticence à la réutilisation des appareils implantables tient au risque élevé d’infection qu’une telle option ferait courir au nouveau receveur. Pourtant, pendant des dizaines d’années, les pays occidentaux ont proposé ces appareils explantés, encore actifs, aux pays moins favorisés. Cette opportunité a fait l’objet d’une étude prospective publiée dans le NEJM et il semble bien que les craintes concernant le risque infectieux soient injustifiées [1].

Un taux d’infection légèrement plus élevé

Dans quatre pays aux ressources limitées, le risque d’infection est en effet identique ou au pire légèrement plus élevé lors de l’implantation de pacemakers ou défibrillateurs recyclés, si l’on compare au taux d’infections avec du matériel identique neuf implanté chez des patients au Canada.

Le taux d’infection est de 2% chez les 1051 patients ayant bénéficié du matériel recyclé et de 1,2% dans le groupe des 3000 patients ayant un implant neuf. La majoration du risque (66%) n’est pas statistiquement significative (P=0,06) En outre il n’y a pas eu de décès en rapport avec l’implant.

 

Même si le taux d’infections est plus élevé dans le groupe des implants recyclés (moins de 1% de différence absolue). « Le taux d’infection reste modeste et raisonnable considérant l’absence d’alternative chez ces patients » déclare à the heart.org/ Medscape Cardiology, Thomas F. Khairy (Montreal Heart Institute), dernier auteur de cette étude.

Des résultats rassurants

« Ces résultats sont rassurants » ajoute-t-il. « Il y a un certain enthousiasme au Canada et Etats-Unis vis-à-vis de cette réutilisation de ces stimulateurs et défibrillateurs dont la durée de batterie restante est encore substantielle – au moins 5 ans dans cette étude. Ces appareils proposés aux patients des pays défavorisés se font par l’intermédiaire d’une donation venant de patients décédés.

« Le risque supposé d’infection » est un fréquent motif d’exclusion du recyclage. « Heureusement, notre étude va pouvoir lever ces craintes et encourager d’autres centres à travailler et collaborer à la création de programmes pour combler ce besoin [de matériel cardiaque implantable]» souligne T.F. Khairy.

Depuis 1983, dans le centre ou exerce T.F. Khairy, la réutilisation des implants cardiaques profite à des ressortissants de pays en voie de développement. Un registre a été créé en 2003.  Au Canada, Etats-Unis et en Europe, il est interdit de les réutiliser chez les membres des peuples premiers.  

Thomas C. Crawford (University of Michigan. Ann Arbor. USA) a déclaré à The heart.org/Medscape Cardiology : « le message majeur pour moi est que le taux d’infections n’est pas substantiellement plus élevé avec le matériel recyclé ».

« Les données du registre prospectif qui ne sont pas celles d’une étude randomisée, nous indiquent que si le risque d’infection est plus élevé – et je ne suis pas sûr que ce soit la réalité – il n’est pas beaucoup plus important que lors de l’implantation d’un matériel neuf » insiste T. C. Crawford en charge du programme de réutilisation My Heart Your Heart, créé en 2010.

l ne vient à l’idée de personne de dire que les implants stérilisés et reconditionnés sont aussi performants que les neufs, ajoute T. C. Crawford. « Le message que nous voulons porter est qu’il est possible d’en faire profiter une population qui n’a pas du tout accès à ce traitement, avec un appareil qui peut fonctionner peut-être moins longtemps mais d’une façon similaire à celui sortant de l’usine. Dans un tel contexte, l’étude nous indique à l’évidence que cette pratique n’est pas dangereuse ».

 

Recueil post mortem

Les auteurs précisent que le recueil post mortem des implants est assuré par un réseau québécois de pompes funèbres et crématoriums. Selon un protocole établi, les implants sont nettoyés, décontaminés et interrogés au sein du Montreal Heart Institute. Après quoi ils sont envoyés au centre qui va assurer l’implantation où ils seront stérilisés une seconde fois.

 

L’étude menée entre 2003 et 2017, a inclus 1051 patients en République Dominicaine, au Guatemala, au Honduras et au Mexique, le matériel provenant de différents fabricants. Dans 65,4%, les patients avaient un bloc auriculo-ventriculaire, dans 12,7% une maladie du sinus, une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection altérée dans 9,3%. Les stimulateurs cardiaques concernent 85,0% des implants : mono-chambre 55,5%, double- chambre 38,8% et 5,7% sont des triple-chambre.

 

Chacun de ces patients a été associé en fonction de son âge, sexe, type d’implant et nombre d’électrodes avec trois patients similaires ayant reçu du matériel neuf au Montreal Heart Institute, soit 3153 sujets-contrôles.   

 

Les critères primaires concernaient le taux d’infections ou bien les décès en rapport avec l’implant : aucun décès dû au matériel n’a été constaté pendant 2 ans. Cependant, un taux de 2% d’infections est noté dans le groupe étudié, (temps médian 66 jours). Dans le groupe contrôle il y a eu à 61 jours, 1,2% d’infections. Le risque dû au hasard après ajustement est de 1,66 (IC 95% 0,97-2,83 ; P= 0,06).

 

Le rapport signale « Dans les deux groupes, les bactéries impliquées étaient semblables avec plus de 75% d’infections dues aux staphylocoques dorés ou epidermitis ».

 

Aller vers un milieu chirurgical plus homogène

« Indépendamment de tout ça, il est possible que le taux d’infections reste malgré tout élevé qu’il s’agisse ou non d’implants neufs ou réutilisés, compte tenu des patients, de l’environnement opératoire, des critères de soins » remarque T. C. Khairy.

 

Le taux d’infections dans le groupe étudié pourrait être minoré par un milieu chirurgical plus homogène. A cet effet, le centre de reconditionnement de Montréal et les sites d’implantations travaillent ensembles à la mise en place de protocoles dédiés aux antibiotiques, aux techniques chirurgicales, aux soins péri-opératoires.

 

« Nous n’avons pas mis en évidence de différence statistique, c’est rassurant. Avec des conditions meilleures dans les différents centres, la différence aurait même pu être moindre » T. F. Khairy.

 

T. C. Crawford poursuit néanmoins : la question importante est de savoir si le taux d’infections est effectivement ou non en rapport avec le matériel réimplanté.

 

« Dans un milieu où la population est moins bien prise en charge, l’utilisation d’un implant neuf ne résout pas les problèmes liés à l’environnement : accessibilité rapide aux soins, laboratoires, suivi post opératoire. Ce n’est pas simplement une question de bactéries au niveau de l’implant ».

COVID-19 : faut-il abandonner la piste de l’hydroxychloroquine ?

Aude Lecrubier

22 mai 2020

 
 

Pr Jean-Jacques Zambrowski

Paris, France — Les résultats de plusieurs études évaluant l’hydroxychloroquine avec ou sans azithromycine chez des patients hospitalisés pour COVID-19 ont été publiés dernièrement, l’une dans le JAMA , les autres dans le BMJ , dont l’une française, menée par le Pr Matthieu Mahévas, ou encore tout dernièrement dans le Lancet … Tous sont négatifs, l’étude observationnelle de grande taille du Lancet venant de paraître suggérant même un excès de mortalité. Est-il temps d’abandonner cette piste thérapeutique ? Nous avons posé la question au Pr Jean-Jacques Zambrowski (spécialiste en médecine interne, Hôpital Bichat, AP-HP, économiste de la santé, Université Paris Descartes, Paris) qui utilise la molécule chez ses patients atteints de maladies musculosquelettiques depuis plus de 30 ans.

Medscape : Plusieurs études évaluant l’hydroxychloroquine chez des patients hospitalisés pour COVID-19 montrent que la molécule n’est pas efficace dans ce contexte. Qu’en pensez-vous ?

Pr Jean-Jacques Zambrowski : Je ne comprends pas pourquoi certains font des essais chez des patients hospitalisés et déjà sévèrement atteints. Par définition, cela ne peut pas marcher. Cela ne pouvait pas marcher et cela n’a pas marché. Pourquoi jouer cette mauvaise comédie ?

 

Je connais assez bien l’hydroxychloroquine car les internistes comme moi l’utilisent pour traiter le lupus et la polyarthrite rhumatoïde. C’est un médicament qui a des propriétés sur le système immunitaire et l’inflammation. C’est d’ailleurs pour cela que nous l’utilisons dans ces indications.

Qu’au tout début d’une infection quelconque, notamment le coronavirus, il puisse y avoir un intérêt à stimuler les défenses immunitaires ne fait strictement aucun doute. C’est d’ailleurs ce que certains ont essayé de faire en proposant une vaccination contre le BCG.

L’idée est que l’hydroxychloroquine, comme le BCG, stimule les défenses immunitaires au départ, de façon peu spécifique. Si on arrive à se défendre contre le coronavirus au moment où il vous attaque, on est éventuellement prémuni.

Je suis partisan de l’idée que l’hydroxychloroquine pourrait éviter la maladie à cause de ces effets généraux sur l’immunité.

Il faudrait accepter de repositionner ce produit et son potentiel usage au bon moment chez les bons patients.

Medscape : Il ne faut donc pas abandonner cette piste, selon vous ?

J-J. Zambrowski : Les résultats ne sont pas encourageants pour l’hydroxychloroquine, mais cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner. Si le traitement est bénéfique en prophylaxie, il est dommage d’en priver des malades. Jeter le bébé avec l’eau du bain ne serait pas tout à fait honnête, mais adopter le produit sans l’avoir dûment validé serait aussi totalement malhonnête.

On ne peut pas faire courir un risque aux patients. J’attends d’avoir des preuves, des chiffres. Pour l’instant, je ne les ai pas. J’attends loyalement des preuves conclusives du rapport bénéfice-risque, obtenues par des moyens non-discutables. La déontologie impose à ce stade de ne pas laisser circuler le produit. Nous avons eu le Mediator, l’affaire du sang contaminé, je comprends que les agences soient prudentes, voire tout simplement professionnelles. Evidemment, en tant que médecins et patients, on voudrait que cela aille plus vite…

 

Medscape : L’ APHP (essai PREP-COVID chez les soignants) , des hôpitaux parisiens et le NIH aux Etats-Unis ont lancé des études en ambulatoire. C’est donc une bonne idée ?

J-J. Zambrowski : Oui, si cela a un intérêt, c’est là. A mon sens, le Pr Didier Raoult (infectiologue à la tête de l’IHU de Marseille) a raison de proposer l’hydroxychloroquine aux malades qui n’ont pas de symptômes. Mais, à mon sens, il est dommage que le Pr Raoult, qui est par ailleurs un éminent scientifique, ait, au nom de critères que l’on peut ne pas partager (choix délibéré de ne pas avoir de groupe placebo pour des raisons éthiques), choisi d’emprunter une méthodologie critiquable par définition. C’est plus que regrettable.

 

Encore une fois, je n’hésiterais pas à donner de l’hydroxychloroquine avec ou sans azithromycine s’il y avait une étude probante malgré le spectre des effets indésirables possibles car je les connais. Après, est-ce qu’en pratique, on pourrait faire un ECG et un examen ophtalmologique à tous les malades suspects de COVID pour s’assurer à l’initiation du traitement qu’ils ne sont pas à risque de complications ? Je n’en suis pas sûr. Il appartiendrait à ceux qui en donnerait l’autorisation de faire les mises en garde.

 

Medscape : Certains disent que l’utilisation de l’HCQ a permis à des pays africains d’être moins touchés par l’épidémie. Qu’en pensez-vous ?

J-J. Zambrowski : C’est peut-être aussi parce qu’il fait chaud, qu’il n’y a pas de métro dans lequel on s’entasse à 8h du matin, pour tout un tas de raisons épidémiologiques, démographiques… Aussi, on ne peut pas être sûr des chiffres dans certains endroits d’Afrique. Alors, de là à penser que c’est grâce à l’hydroxychloroquine, cela me parait un peu rapide. Il y a beaucoup de « peut-être » dans cette épidémie. Il ne faut pas spéculer.

 

Medscape : Pour revenir sur les effets secondaires de l’hydroxychloroquine, certaines études montrent un taux d’effets indésirables très importants, d’autres disent l’utiliser depuis des années sans problème. Que faut-il en penser ?

J-J. Zambrowski : Je donne cette molécule à mes patients depuis plus de 30 ans. Oui, il y a des effets secondaires très significatifs avec ce médicament. Chez les patients qui ont un lupus ou une polyarthrite rhumatoïde et qui reçoivent de l’hydroxychloroquine, nous faisons régulièrement des électrocardiogrammes et des examens ophtalmologiques. Toutefois, un traitement de courte durée à une posologie bien étudiée est probablement plus innocent qu’un traitement de longue durée à fortes doses.

 

Medscape : L’ agence espagnole du médicament a rapporté 6 suicides qui pourraient être liés à molécule. Avez-vous déjà observé de telles effets psychiatriques ?

J-J. Zambrowski : Il y a des antécédents d’effets secondaires neurologiques. Je n’ai pas connaissance d’effets psychiatriques, mais ce n’est pas parce que je ne les connais pas qu’il n’y en a pas. En règle générale, il y a beaucoup d’effets secondaires qui ne sont pas rapportés. Mais, on sait aussi que les patients qui ont peur de mourir peuvent développer un syndrome de stress post-traumatique. Il faut avoir de l’humilité sur tout ce que l’on ne sait pas.

 

Medscape : Vous parlez d’humilité, la recherche sur l’hydroxychloroquine est-elle entravée par les querelles d’experts ?

J-J. Zambrowski : Dans cette crise, nous ne sommes pas toujours dans l’objectivité scientifique. L’urgence devient de la précipitation et la raison disparait. Il y a une pression énorme sur les chercheurs, ce qui est délétère.  Il y a aussi un certain nombre d’intérêts industriels, commerciaux, notamment du côté des fabricants d’antiviraux. Je ne crois pas que les gens soient malhonnêtes, mais ils sont pressés, au sens de pressurisé et de pousser à être le premier à trouver le médicament.

 

Il n’est pas plus raisonnable de publier des résultats sur l’hydroxychloroquine sans revue par les pairs que d’annoncer les résultats positifs sur le tocélizumab en conférence de presse avant d’avoir publié les résultats.

 

Les enjeux de prestige, de finance, de primauté politique, d’influence sont énormes, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une pandémie et de la vie de patients.

 

 

 

Des anticorps de lama pour lutter contre le SARS-CoV-2 ?

Dr Claude Leroy

11 mai 2020

 
 

Gant, Belgique – La nouvelle avait été évoquée il y a quelques semaines, elle s’est confirmée et précisée entretemps : une équipe de chercheurs gantois (UGent) a pu élaborer un anticorps unique pouvant se lier au virus SARS-CoV-2 et doté d’une efficacité in vitro. Particularité : il provient du lama [1].

Un anticorps de pointe

L’équipe a établi que l’anticorps se lie à un épitope conservé de la protéine de pointe (S) du SARS-CoV-2 et il a été capable de neutraliser en laboratoire un variant du virus, une étape importante dans le développement d’un éventuel médicament contre ce nouveau coronavirus.

Ce qui le rend aussi particulièrement intéressant est non seulement son efficacité (à démontrer encore par des études cliniques), mais aussi la facilité par laquelle il peut être produit en quantité importante – et rapidement.

 

Le sujet a fait l’objet d’un article publié ce 5 mai dans la prestigieuse revue Cell, avec la participation de chercheurs de l’Université du Texas, du NIH américain et de l’Université de Göttingen, en Allemagne. La découverte est d’autant plus prometteuse qu’elle pourrait, à terme, concerner d’autres types de virus.

Sans chaîne légère

Pour comprendre l’originalité de ce travail, il faut savoir qu’à l’instar des requins, les camélidés, dont le lama, peuvent produire deux types d’anticorps en réaction à une infection. Le premier est proche des anticorps humains, tandis que le second est un anticorps monocaténaire (appelé VHH dans le cas des camélidés), où la chaîne légère est absente. Un des avantages du second type, étudié depuis plusieurs décennies déjà, est qu’il ne nécessite pas d’être « humanisé » pour être utilisé en médecine humaine. Ces anticorps également appelés « à domaine unique » font l’objet d’études prometteuses dans différentes pathologies comme la grippe, les cancers, les MICI, ou encore la maladie de von Willebrand.

Avec l’aide bien involontaire du lama Winter

En 2016 déjà, l’équipe de chercheurs de l’Institut flamand de recherche en biotechnologie (VIB-UGent) avait identifié, avec l’aide bien involontaire du lama Winter qui vit dans une ferme de la région, des VHH développés après l’injection de particules du SARS-CoV-1 et du MERS-CoV.

Ces anticorps ont la particularité de se se lier à la protéine de pointe (S) du virus qui s’accroche aux récepteurs (appelés ACE2), portes d’entrée du virus dans la cellule. A l’époque, aucune épidémie liée à ces deux virus n’était en cours, et aucune production de l’anticorps n’a dès lors été envisagée. Dans les grandes lignes, les chercheurs ont démontré que ces anticorps (MERS VHH-55 et SARS VHH-72) pouvaient se lier aussi bien à la protéine S du Sars-CoV-1 que du SARS-CoV-2. Ils ont ensuite élaboré une arme plus efficace sur cette base, l’anticorps bivalent VHH-72-Fc qui vient d’être testé avec succès in vitro.

Un anti-Covid-19 à inhaler

Les VHH sont chimiquement et thermiquement plus stables que les IgG. Il est donc théoriquement possible d’en constituer des stocks durables, directement utilisables en cas de début d’épidémie par exemple. De plus, leur faible taille autoriserait leur administration par nébulisateur, ce qui leur permettrait d’atteindre plus directement le système respiratoire. « Ils pourraient ainsi être utilisés tant en prophylaxie [notamment pour le personnel soignant] qu’en thérapeutique », explique Xavier Saelens, chercheur au VIB-UGent. Néanmoins, pour le moment, Xavier Saelens et ses équipes envisagent plutôt un traitement par injection, « plus conventionnel », plutôt que par inhalation, un mode d’administration moins éprouvé et qui nécessiterait des recherches supplémentaires, a expliqué le chercheur belge à FranceInfo.

« Dans un premier temps, des tests vont être réalisés in vivo, sur des hamsters. » Des résultats sont attendus d’ici deux mois. S’ils sont concluants, des essais sur des humains présentant des symptômes modérés du Covid-19 pourraient commencer.

COVID-19 : ce que nous savons sur la réponse immunitaire au virus

Vincent Richeux

19 mai 2020

Paris, France — A l’heure du déconfinement, des incertitudes persistent au sujet du processus d’immunisation contre le virus SARS-CoV-2. La réponse immunitaire développée après l’infection est-elle suffisante pour assurer une protection sur le long terme ? Existe-t-il un risque de récidive de l’infection ? Après quel délai ?

Pr Jean-Daniel Lelièvre

Pour y voir plus clair, nous avons fait le point avec le Pr Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique et maladie infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil. L’infectiologue rappelle que les craintes se focalisent essentiellement sur la durée de la réponse immunitaire, qui pourrait s’avérer insuffisante pour obtenir une immunité de groupe avant l’arrivée d’un vaccin.

Il évoque également le risque de développer des anticorps délétères à l’origine de lésions pulmonaires, comme cela a été observé lors de l’infection par le SARS-CoV en 2002. Un risque à prendre en compte au moment de développer une stratégie vaccinale, qu’il reste encore à définir.

Medscape édition française : Des experts ont suggéré que l’infection pouvait ne pas être immunisante. Que sait-on aujourd’hui de cette réponse immunitaire contre le SARS-CoV-2 ?

Pr Jean-Daniel Lelièvre : Il est désormais certain que l’infection virale provoque une réponse immunitaire. Selon les dernières données, pendant les deux à trois premières semaines de l’infection, la très grande majorité des patients produisent des anticorps, qui s’avèrent capables de neutraliser le virus de manière efficace. Il n’y a aucune raison de penser que ces anticorps ne sont pas protecteurs.

La réponse humorale apparait donc quasi systématique. Est-ce qu’on en sait plus sur la réponse cellulaire ? 

Pr Lelièvre : La réponse antivirale fait également intervenir une réponse dite cellulaire mettant en jeu les lymphocytes T CD8+. Ceux-ci ne protègent pas à proprement parler contre l’infection mais permettent d’éliminer les cellules infectées. Certains patients ont pu guérir de l’infection sans passer par cette réponse humorale, ces cas sont très rares. La réponse immunitaire s’est alors probablement limitée à une réponse cellulaire par activation des lymphocytes T, suffisante pour éliminer le virus sans avoir de production d’anticorps, mais on ne dispose pas à l’heure actuelle de données sur cette réponse cellulaire au cours de l’infection par le SARS CoV-2.

Plus que la présence d’une réponse immunitaire, c’est davantage la durée de cette réponse qui pose question…

Pr Lelièvre : Oui et, pour l’instant, le recul n’est pas suffisant pour savoir combien de temps les anticorps neutralisants se maintiennent dans l’organisme. Dans le cas de l’infection par le SARS-CoV, responsable d’une pathologie proche ayant entraîné une épidémie de bien moindre ampleur en 2002, les anticorps persistent environ trois ans. Le maintien de la protection humorale dépend aussi de l’activation des lymphocytes B mémoire, capables de produire à nouveau les anticorps en cas de nouvelle infection. Or, les études menées sur le coronavirus SARS-CoV ont montré que ces lymphocytes n’étaient plus présents après six ans. Dans le cas des infections avec des coronavirus provoquant des rhumes bénins, la durée de la protection est encore plus courte et ne dépasse pas quelques mois.

La crainte est donc d’avoir une persistance des anticorps pendant seulement quelques mois, voire un an. Etant donné qu’il nous faut plus d’un an avant d’avoir un vaccin, il serait alors impossible d’avoir une immunité de groupe suffisante pour stopper l’épidémie. Les personnes contaminées ayant développé une immunité au début de l’épidémie pourraient être à nouveau infectées par le virus.

Les stratégies vaccinales à venir vont dépendre de ces informations. La plupart des vaccins sont conçus pour induire uniquement une réponse humorale. Il sera peut-être nécessaire d’avoir un modèle vaccinal capable de provoquer à la fois une production d’anticorps et une réponse cellulaire pour assurer une protection optimale.

Par ailleurs, si la réponse naturelle est de courte durée, il faudra certainement recourir à des vaccinations répétées au cours de la vie.

On a redouté un risque de réinfection malgré une immunisation et la présence d’anticorps. Est-ce que ce risque est avéré ?

Pr Lelièvre : Il n’y a pas de cas documentés de recontamination après avoir acquis une immunité contre ce virus. Cette hypothèse a été évoquée après plusieurs cas de patients sud-coréens guéris puis à nouveau testés positifs au SARS-CoV-2. Il s’avère qu’il ne s’agit pas de virus entier infectieux, mais de débris de virus, non infectieux, naturellement éliminés par les voies aériennes au cours du processus de récupération. En clair, il ne s’agit pas d’une réinfection, mais d’une persistance de matériel génétique viral en cours d’expulsion.

 

 

Des experts ont aussi évoqué un risque de développer des anticorps ayant un effet aggravant. Qu’en pensez-vous ?

Pr Lelièvre : Il y a effectivement des inquiétudes sur une éventuelle apparition d’anticorps délétères, qui contribueraient à l’aggravation de l’infection, ce qui évidemment interroge au moment où des vaccins sont en train d’être développés.

La présence de ces anticorps a été suggérée à partir des observations menées lors de l’épidémie de SARS-CoV. Des chercheurs ont montré qu’un candidat vaccin testé chez le singe provoquait des lésions au niveau pulmonaire, alors que les anticorps contribuaient initialement à contrôler l’infection, sans avoir de signes préoccupants.

Comment explique-t-on ce mécanisme délétère ?

Pr Lelièvre : Ce phénomène immunopathologique est retrouvé avec d’autres coronavirus. On pense que le mécanisme est lié à l’activation de macrophages par la portion Fc des immunoglobulines. En présence de ces anticorps, les macrophages changent d’aspect et induisent une réaction inflammatoire qui fragilise l’épithélium pulmonaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que les anticorps de lama, dépourvus de chaine légère, sont envisagés comme traitement contre cette infection. De manière intéressante, les anticorps prélevés sur des patients décédés de l’infection par le SARS-CoV induisaient les mêmes effets délétères in vitro sur des macrophages humains, contrairement à ce qui a été observé avec des anticorps issus d’individus ayant guéri de l’infection. On ne sait pas si de tels anticorps délétères pourraient exister au cours de l’infection par le SARS-CoV-2. Mais, il faut rester vigilant sur ce point dans le développement de stratégies vaccinales contre le nouveau coronavirus.

Faut-il craindre également le maintien du virus dans l’organisme, qui pourrait subsister dans des réservoirs et se réactiver plus tard ?

Pr Lelièvre : Les processus de réactivation virale s’observent surtout avec des virus à ADN. Pour l’instant, il n’y a pas d’argument en faveur de l’existence de réservoirs viraux pouvant maintenir le SARS-CoV-2 sous forme latente. Il existe beaucoup d’incertitudes concernant ce virus et il faut rester prudent.

S’il s’avérait que ce virus persiste dans des réservoirs, il s’agirait de réservoirs anatomiques et non pas cellulaires, puisqu’il n’a pas la capacité d’insérer son matériel génétique dans le génome des cellules. Le testicule, qui est une zone anatomique caractérisée par une défense immunitaire plus faible, pourrait ainsi constituer un réservoir. C’est ce que l’on observe avec le virus Ebola ou le virus Zika, qui peuvent alors se transmettre par voie sexuelle. Dans le cas du SARS-CoV-2, ce n’est qu’une hypothèse. Cela n’a pas été observé avec les autres coronavirus.

On fait souvent référence aux autres coronavirus pour comprendre les mécanismes d’infection du COVID-19. Pourquoi la dynamique de l’épidémie est cette fois si différente ?

Pr Lelièvre : Dans le cas de l’épidémie du coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), survenue en 2012, ou de celle de 2002 provoquée par le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV), les infections se sont arrêtées d’elles-mêmes. A la différence de l’épidémie actuelle, la contagiosité augmentait au fur et à mesure de l’aggravation des symptômes. Il était alors facile d’identifier les patients contagieux, de les isoler rapidement et de contrôler ainsi la circulation des virus.

Le problème avec ce nouveau coronavirus est que les personnes infectées peuvent contaminer avant de développer des symptômes, sans parler des nombreux cas qui transmettent le virus tout en restant asymptomatiques.

Le problème avec ce nouveau coronavirus est que les personnes infectées peuvent contaminer avant de développer des symptômes, sans parler des nombreux cas qui transmettent le virus tout en restant asymptomatiques. Il n’est pas possible de maitriser l’infection tant que les personnes contagieuses ne sont pas identifiées. D’où l’importance de dépister tous ceux, symptomatiques ou non, qui ont été en contact avec une personne testée positive.